06
heures 45 + Terminé le portrait de Jean C. C’est lapidaire mais les mots me
précédaient, c’était du cœur et de la présence [1]. Je me mets au
« propre », ce que je vais envoyer, encore à titre provisoire à DP
d’ici dix heures au plus tard. Beaucoup dépend de cet envoi.
07
heures 58 + Auparavant rédigé ce que Jean-Claude m’avait rappelé et qu’à ma
honte je n’avais pas présent à l’esprit et au cœur [2].
10
heures 08 + Envoyé.
20
heures 35 + La joie simple : préparer la table pour la prière. A partir de
la biographie d’un homme exceptionnel, celle du cardinal STEPINAC, croate, au
parcours passionnant qui m’a fait aller à son quasi homologue le cardinal
KOREC, slovaque, récemment décédé : l’Eglise du silence. A peine
adolescent, j’étais comme, je le suppose, tous mes camarades de Collège,
imprgné par l’insistance de Pie XII sur la prière pour l’Eglise du silence.
Celle-ci perdure : ce n’est pas seulement le martyre des chrétiens
d’Orient. Qu’est devenue cet Eglise qui me fut chère, celle d’Asie
centrale ?
Prier
… [3] suite des récits
bibliques sur les débuts de l’homme. Théologie de la nudité, non de la
chair : tous les deux, l’homme
et sa femme, étaient nus, et ils n’en éprouvaient aucune honte l’un devant
l’autre [4] L’arbre de la
connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car le jour où
tu en mangeras, tu mourras [5]. Ils
désobéissent : alors, leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se
rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des
feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes.. Mais ce n’est pas la honte et la honte de quoi ? qui est la conséquence de leur péché. C’est
la peur de Dieu, c’est la méconnaissance de Dieu, et précisément cette
méconnaissance a fait leur péché de désobéissance : pas du tout !
Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu
sait que le jour où vous ne mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme
des dieux, connaissant le bien et le mal. De
fait, ils connaissent… mais seulement le mal, et ils en ont peur, car le péché
est relationnel, ou plutôt rupture de la relation, de toute relation. Ils
entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise
du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher au regard du Seigneur Dieu
parmi les arbres du jardin. La relation « normale »
avec Dieu est au contraire celle du psalmiste : tu es un refuge pour
moi, mon abri dans la détresse ; de chants de délivrance, tu m’as entouré.
Quel écho en donne le Christ ? selon
le parallèle des deux lectures que nous propose l’Eglise aujourd’hui. Le
miracle, c'est le rétablissement du relationnel, c'est ce dont l'entourage d'un sourd-muet supplie Jésus. Ses oreilles s’ouvrirent :
sa langue se délia, et il parlait correctement. La foule apprécie à la manière de Dieu estimant, évaluant chaque soir
Sa création, Son œuvre entière : il a bien fait toutes choses : il
fait entendre les sourds et parler les muets.
[1] - Jean
Charbonnel incarne la pureté en politique, et la pureté permet la sincérité et
donne la liberté. Premier à naître sous l’appellation des « jeunes
loups » , avec une législature d’avance
sur le gros de la meute et une forte assise locale dans une ville
historique : celle du caridnal Dubois, Brive-la-Gaillarde, il est le
dernier à disparaître des témoins directs de l’action du général de Gaulle, de
sa présidence des conseils de gouvernement et des
conditions de sa succession. En équipe avec deux autres illustrations d’une
Cinquième République sachant – alors – demeurer jeune, il publie une critique vive des
oppositions de gauche à la majorité de 1968 qu’il faut renouveler en 1973, mais
en prévision des élections de même nature en 1978, l’Assemblée nationale qui se
renouvelle tous les cinq ans, sauf dissolution, il tente, avant la lettre
actuelle, un front de gauche avec les socialistes devenus dominants. Rien ne
marche. L’ancien secrétaire d’Etat à la Coopération pour les débuts de notre
décolonisation en Afrique, l’ancien ministre de l’Industrie qui s’isole avec
éclat de ses collègues, au gouvernement et du Premier ministre d’alors, Pierre
Messmer, en soutenant la tentative autogestionnaire de Lip devient donc et pour
trente-cinq ans, jusqu’à sa mort, celui qui témoigne de la sincérité sociale du
général de Gaulle. Et de son efficacité. Donc de l’intégralité de l’apport d’un
fondateur d’exception à notre pays.
Philippe Séguin est aujourd’hui invoqué à tout va par
des épigones d’une droite avouée. Quoique riche d’élections à l’Assemblée
nationale et de responsabilités gouvernementales, son parcours n’est pas une
référence politique par lui-même. Sans qu’il y ait à les opposer, je préfère
une carrière politiquement inaboutie, close quant aux honneurs et aux
portefeuilles à quarante-quatre ans et demi et qu’aucun gouvernement ni de
gauche ni de droite n’a proposé qu’elle reprenne. Précisément, Jean Charbonnel
professait l’essence même du gaullisme : « la France c’est pas la
gauche, la France c’est pas la droite ». Le bulletin , édité à
ses frais, et les quelques amis sans grade notoire qui partageaient cette
vérité et ses convictions, discutaient l’actualité, mois par mois, par
référence à une expérience précise : celle du général de Gaulle au
gouvernement, et celle de Georges Pompidou, le successeur qui n’y était pas
arrivé.
J’avais demandé son témoignage sur Maurice Couve de
Murville, ministre des Affaires Etrangères, puisque rue Monsieur, il avait été
son secrétaire d’Etat. L’honnêteté parfaite et partagée des deux hommes, alors,
l’aîné et le cadet, bénéficiant chacun d’un accès psychologiquement très
différent auprès du général de Gaulle, m’avait retenu : notre entretien me
faisait réaliser l’homogénéité des gouvernements tant qu’avait duré, à notre
tête, l’homme du 18-Juin adapté à l’autre monde que sont la paix, la gestion,
la diplomatie avec les mêmes fins et le même type d’adversaire qu’en temps de
guerre déclarée. De très grandes choses, de véritables desseins sans rivalité
ni projets personnels à l’intérieur de l’équipe. Aucun jeu, de l’effort. Nous
n’avions pas parlé de la suite, des actualités et des ambiances qui avaient
suivi. La période de jeune homme et la preuve d’attention qu’avait donnée de
Gaulle à Jean Charbonnel, pour ses débuts, étaient dites en termes d’admiration :
les circonscriptions de notre Massif central, les tempéraments locaux, la
manière dont le nouveau secrétaire avait commencé de se distinguer pour que se
maintienne, dès l’automne de 1962 , la
Cinquième République, vulnérable à l’Assemblée nationale, malgré le succès du
referendum concluant au nouveau mode d’élection du président de la République –
l’actuel mais en bien moins restrictif pour les candidatures. Le Général savait
tout cela et avec ce jeune homme, il parla d’avenir.
Je demandais à le rencontrer une nouvelle fois, bien
plus tardivement dans nos vies respectives. Je n’enquêtais plus sur le départ
de 1969, je ne cherchais plus qui pourrait reprendre le legs gaullien, je me
contentais de commenter l’actualité, par des médias personnels et des messages
occasionnels à l’Elysée – dont je vous ai souvent entretenu plus haut – je
voulais apprendre davantage sur Pierre Messmer que je n’avais connu qu’à propos
de la Mauritanie et des partis issus de moins en moins directement des
soutiens, naguère, à de Gaulle. Et, à ma surprise, j’appris ce que je ne savais
pas. L’itinéraire de Jacques Chirac – acteur principal, j’en suis de plus en
plus sûr, du dévoiement de la Cinquième République – combinaison de tant de
qualités et de leurs contraires, a eu son origine, et son introducteur dans la
politique élective la connaissait. L’image exceptionnellement ancrée dans
l’appréciation publique nationale – plus que celle de tout autre président de
notre République, de Gaulle compris – est mensongère, si chaleureuse que soient
au moins les premières rencontres : j’en ai été gratifié. J’appris aussi
que la mort de Robert Boulin n’était effectivement pas un suicide.
Quoiqu’historien de métier, mais consacrant ce
savoir-faire et de cette façon d’exposer des convictions dont l’identification
du général de Gaulle était un des aboutissements, Jean Charbonnel ne professait
aucun culte pour les faits, il en tirait au contraire les motifs de les
changer, d’en prendre la direction, ou au moins d’en recevoir une occasion. Transformer
la société, changer les orientations. Ainsi, sa connaissance et son commentaire
de ce qui sous-tend nos institutions, notre Histoire : la légitimité en
France, ses applications d’une foi chrétienne, et pas seulement l’observance du
magistère social de l’Eglise, inscrivait en profondeur et en perspective ce
qu’il avait réalisé ou essayé au gouvernement, ce pour quoi il continuait de
militer. Y compris la reconnaissance d’authentiques saintetés dans notre
personnel politique. Il s’impliquait dans la cause d’Edmond Michelet avec
autant d’ardeur que dans la dénonciation du meurtre de Robert Boulin.
Il était désormais le seul témoin de tout, en colloque
sur Edgar Faure et l’Education nationale à la fin du général de Gaulle, il peut
rapporter le mot de l’ancien président du Conseil : l’homme du 18-Juin est
remercié en conseil des ministres consacré à notre retrait de l’O.T.A.N.
d’avoir lavé l’humiliation – affreuse mais permanente – des gouvernements et du
régime précédents contraints de mendier leurs fins de mois à Washington.
Auprès de Jean Charbonnel, dans l’appartement familial
de la rue Dupont des Loges, au calme d’un couple manifestement marqué par
l’amour et l’admiration mutuels, j’apprends que le vrai rôle en politique,
c’est la fidélité. Pour le « jeune loup », ce fut l’aventure,
toujours. Chaque fois que nous
conversions, il savait se récrier. Il rectifia aussi beaucoup du portrait que
je me faisais de Georges Pompidou, en très bien, en très mal, en personnel.
Historien davantage des personnes et des itinéraires d’importance nationale,
que des idées ou des événements, cet homme eut le don des tête-à-tête, du
regard qui s’échange. C’est ainsi que la fidélité a sa racine d’un bout à
l’autre d’une vie. L’éloquence et la plume, certes, mais l’exemple :
d’abord.
[2] - La nuit va
s’achever, rien du jour n’est encore pénétrable, la pleine lune s’en est allé.
Le peuple qui m’accompagne, j’ai tenté qu’il vienne ausis jusqu’à vous, qu’il
vous assure de notre pays. Ni des questions, ni des dossiers, ni des
circonstances, ni des candidatures, ni des procédures, pas même un scrutin, des
scrutins, et très probablement beaucoup d’événements que, presque chacun de
nous, nous prévoyons. La France se rencontre dans cet autobus, de marque
étrangère, mais nous y sommes, debout et brinqueballé dans le haut des
anciennes vignes d’Issy-les-Moulineaux : nous voyons le panorama parisien,
un jeune garçon veut m’aider à disposer ma valsie et trouver une place assise,
je me récrie, je le regarde, il est parfait, le teint bistre, non seulement
notre nouvelle génération mais aussi notre nouvelle race. Pourtant, et grâce à
lui, notre esprit, notre langue que lui et les siens, déjà la chaine de ses
ascendants ont adoptés et choisis, bien davantage que nos territoires, notre
patrimoine, nos acquis sociaux et autres, subsistent et même fleurissent,
rehaussés. Je le questionne, l’autobus n’est plus loin de parvenu à son
terminus, là où se dresse un court mur blanc avec l’inscription de nos dettes
de guerre, il y aussi un buste de Leclerc. Son nom est Karim, je lui promets
l’avenir. Si je parviens à faire campagne et à appeler à moi les cameras et les
enregistreurs, je ne peux y rester seul qu’un instant, il va y avoir tout de
suite Karim et tant de ma vie, de celle des autres et de la France. Vous,
peut-être, me faisant un signe de réponse, puis de lecture, et – donc – venant.
Ami d’enfance à l’histoire familiale intense, de la
naissance de chacun de ses frères au veuvage de sa mère, au sacerdoce dont il
est marqué et dont il reconnaît – après bien des années sans plus l’évoquer
quoique nous nous étions retrouvés, adultes mais pas changés – qu’en dure
toujours l’onction, voici qu’il me lit et m’interrmpt. C’est le cri et toutes
les dédicaces de l’Abbé Pierre : « et les autres ! ». Il
précise, c’est fulgurant parce que c’est vrai et que l’essentiel, la fin et le
début de tout, je n’avais pas su l’écrire, quoique si souvent la rencontre m’en
soit donnée. Je sais que, notamment dans
mes moments parisiens, sur les marches de nos transports en commun, justement
souterrains, ils m’attendent, pas toujours la pièce, mais toujours le regard.
Des bénédictions, des écrits sur du carton, sans doute des histoires mais sans
langue. Le besoin nu d’humanité. L’appel à un tout petit peu de réciprocité.
Jean-Claude a adopté la misère et le manque du monde, il a vécu et travaillé,
accueilli et organisé aux côtés du Père Joseph, l’œuvre et le réseau qui fait
maintenant – pour la gloire de la France – le parvis du Trocadéro. Il habite,
exprès, avec une épouse qui a vécu la même prise de conscience de
l’inadéquation des vocations traditionnelles et de la vérité de les pratique
par de tout autres applications. Pas toujours audible, tant je suis moi-même
empêtré dans mon regard trop fait de passé, il ressemble par son souriant
mystère à celles et ceux dont il parle. D’eux va nous arriver bien plus que
l’avenir, la solution. Ce sont ceux que nous n’entendons pas, que nous ne
rencontrons pas, dont nous ne pourrons jamais complètement assurer la
participation, la représentation, parce que sans cesse ils se renouvellent dans
le même appel, la même demande et nous invitent, par force, à éprouver le même
scandale. Il y a tous les manques, y compris chez celles et ceux qui ont pour
abri de leurs peurs et d’un quotidien soudainement étranger, obsessif et désert
– ma mère l’a éprouvé – et ces manques, ces trous du monde sont aujourd’hui
notre tâche et notre responsabilité, mais le remède nous viendra de les
écouter. Je ne peux rien dire à leur place. Je les invite seulement à être là.
Une présence qui nous atteint.
On n’est pas loin de la France, pas seulement parce que
cela se passe chez nous comme ailleurs. Ce n’est pas loin parce que c’est
humain. Ce n’est loin que parce que nous n’y pensons pas, ne cherchons pas à le
voir. Rien à comprendre, tout à faire. D’autres le vivent, apparemment de deux
bords, celles et ceux qui manquent (pire que de tout), celles et ceux – il y en
a parmi nous – qui font plus qu’aider : ils sont avec elles, avec eux. Un
regard, un murmure, souvent un geste religieux, de piété pour me dire une
reconnaissance que je ne mérite pas. A elle, à lui, tassés sur des marches
dures, à toutes celles et tous ceux qui n’ont, pour nous, pas de nom, je dédie
tout effort de notre pays et de notre Vieux Monde, ils les aiment malgré tout
et nous aiment, sans pouvoir le manifester autrement que par une présence,
fugitive par notre faute. Mon ami vit avec elles, avec eux. Melchisédech serait
à son côté, la Syro-Cananéenne et ses petits chiens aussi, la nièce de mon cher
moine, si humain, si lacunaire, qui avoua à tous au bord de sa mort biologique
et au bout de soixante-dix ans de vie monastique puis érémitique :
« j’ai toujours fait semblant », cette femme que je ne connaîtrai
jamais, passe ses nuits en maraude avec quelques compagnons pour embarquer vers
du chaud, des matelas et des douches, les perdus d’espérance dans nos banlieues
et le long même de nos très « beaux » quartiers. Mon ami d’enfance,
dont j’ai souhaité recevoir la même vocation, entendre en toute certitude,
celle qu’il me confiait avec deux autres de nos contemporains de foi et de
collège, l’appel à tout… ce moine dont si vite après sa mort le corps avait
commencé l’ultime pénitence de la décomposition… ils me confient un testament.
L’ancien familier du second, de la classe servile de ce pays mi-sahariens,
mi-sahélien que j’aime, attend de virement en virement, le suivant, cultivant, bâtissant,
enfantant mais démuni pour une conclusion pérenne. La mère du premier a fermé
les yeux sans rien dire de ce qu’elle avait vécu sans voir. Je crois que le
mystère, nous ne pouvons le déchiffrer par nous-mêmes, mais remédier si peu que
ce soit à ce dont d’autres souffrent et pleurent, hoquettent, n’est-ce pas à
portée d’un premier pas ?
Le jour se lève, pas même noir des silhouettes de nos
arbres, ces arbres qui nous ont accueillis ici, pas même blanc d’un ciel qui va
sans doute choisir, aujourd’hui, d’être bleu. Un jour sans contraste, alors que
la misère et le manque contrastent avec notre amnésie. Notre cécité nationale a
son premier symptôme, là. De notre médication dépend toute suite. Je voudrais
en parler avec vous, que vous me communiquiez non pas votre analyse, mais ce
que vous en vivez, vous surtout. Et que nous nous y mettions. Tout commencera,
c’est-à-dire que nous continuerons, trouvant la vérité de notre époque, de nos
générations. Mais nous n’y sommes pas encore ou nous n’y sommes plus. C’est
pourquoi nous ne durerons pas sans vivre cette recherche.
[3] - Genèse III 1 à 8 ; psaume XXXII ; évangile selon saint Marc
VII 31 à 37
[4] - Genèse II 25 lue hier
[5] - Genèse II 17 lue avant-hier
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