dimanche 14 avril 2019

crise de l'Eglise - selon un jeune Jésuite



Le scandale de la pédophilie

Méditations de Carême 2019
Mardi 9 avril – Méditation 5

par Grégoire CATTA, s.j.

Responsable à la conférence des évêques de France
du service Familles et Société

« Une voix dans Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte : c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus » (Mt 2, 18). Dans l’évangile de Matthieu, devant l’horreur du massacre par Hérode de tous les enfants de moins de deux ans de Béthléem et de la région, l’évangéliste laisse monter la plainte d’une femme. Ces mots, dans la prophétie de Jérémie, sont placés dans la bouche même du Seigneur : « Ainsi parle le Seigneur : Dans Rama on entend une voix plaintive, des pleurs amers : Rachel pleure sur ses enfants, elle refuse tout réconfort, car ses enfants ont disparu. » (Jr 31,15). Force de la plainte d’une mère, de tant de mères, qui face à l’innommable, hurlent l’horreur, le scandale. Une théologienne, elle-même mère, voit déjà « dans ces cris et dans ces larmes », dans cette plainte qui monte, « l’Esprit de Dieu qui a compassion pour leur souffrance et promet un futur »[1]. Elle souligne que cette incroyable capacité de résilience de tant de Rachel de par le monde est véritablement manifestation de l’Esprit. Résilience qui commence par l’expression d’une plainte, d’une compassion authentique, d’une solidarité profonde dans la souffrance, qui devient alors promesse d’un futur. Dans le même passage de la prophétie de Jérémie, il y a en effet ces paroles : « Ainsi parle le Seigneur : Assez ! plus de voix plaintive, plus de larmes dans les yeux » (Jr 31, 16). « Ecoutez la parole du Seigneur : Je change leur deuil en joie, je les réconforte, je fais s’épanouir les affligés » (Jr 31, 13). Promesse d’un futur certes mais qui ne fait pas l’économie de la plainte et d’un temps de deuil probablement long.
Devant les scandales multiples qui secouent l’Eglise, ces révélations successives de pédocriminalité et d’autres abus, mon chemin de méditation aujourd’hui voudrait s’inspirer de celui de Rachel, sans prétendre l’imiter. Le chemin d’une longue plainte, d’une com-passion, c’est-à-dire d’un souffrir avec, où, me laissant atteindre dans ma fragilité, me reconnaissant vulnérable, une promesse, peut-être, pourra se faire entendre, la grâce, peut-être, pourra agir.
Qui suis-je pour risquer une telle méditation aujourd’hui ? Les études de théologie – même de théologie morale – sont d’un piètre secours. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas un évêque ou un supérieur religieux en responsabilité. Je ne suis pas non plus un expert ou un spécialiste. Mais je suis baptisé, religieux, prêtre depuis 8 ans. En 2004, j’ai passé un mois en Irlande avec un groupe de jeunes jésuites de toute l’Europe. Cela faisait déjà plusieurs années que ce pays avait été secoué par une première vague de scandales d’abus et nous avions écouté le témoignage d’une victime. Première prise de conscience pour moi. Depuis j’ai fait un séjour de quatre ans à Boston aux États Unis et l’an passé j’étais au Chili, d’autres lieux où l’Eglise catholique est profondément marquée par les scandales. Je vis en ce moment en France…
« Il est inévitable qu’arrivent les scandales » nous rappelle l’Evangile, mais en ajoutant aussi « malheureux le monde à cause des scandales » et « malheureux celui par qui le scandale arrive » (Mt 18, 7). Malheureux sommes-nous ! Ce malheur j’y suis plongé, ni plus ni moins qu’un autre baptisé. Mais je suis touché, affecté, au plus profond car il semble bien que « celui par qui arrive le scandale », ce soit des membres de cette Eglise où je suis engagé pour le service du Royaume, et cela inclus la Compagnie de Jésus dans laquelle j’ai fait vœu de suivre le Christ. Voilà d’où je risque cette méditation.
Puisque j’enseigne la doctrine sociale de l’Eglise, c’est le chemin familier du voir-juger-agir que je vais prendre avec vous. A chaque étape, la dimension de vulnérabilité propre à la condition humaine viendra inévitablement au rendez-vous.
Voir
Comme le pape François nous y invite dans un autre contexte, « l’objectif n’est pas de recueillir des informations ni de satisfaire notre curiosité, mais de prendre une douloureuse conscience, d’oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde »[2]. Voir avec les yeux, « voir » avec tous les sens, voir aussi avec l’intelligence et avec le cœur. Comme Jésus voit la foule et se laisse émouvoir (cf. Mc 6,34) ou encore comme il voit Jérusalem et pleure (cf. Lc 19,41).
Certains, certaines, portent la souffrance des abus au cœur même de leur chair. D’autres ont reçu des témoignages directs dans le cadre de relations interpersonnelles. Pour d’autres encore, dont je fais partie, ces témoignages se font au travers de films, de documentaires, de livres, de conférences. J’ai vu Spotlight le film qui parle du diocèse de Boston, j’ai vu El Bosque de Karadima un film chilienj’ai vu plus récemment Grâce à Dieu et aussi le récent reportage d’Arte. J’ai lu Histoire d’un silence, l’admirable enquête d’Isabelle de Gaulmyn sur l’affaire Preynat[3]… A chaque fois j’en suis sorti retourné, chamboulé, atterré, horrifié mais j’ai aussi pris un peu plus la mesure du drame des abus, de l’impact sur toute une enfance, toute une vie. On peut écouter les explications des spécialistes, suivre des formations de prévention, mais c’est bien la parole et l’histoire des victimes elles-mêmes qui suscitent peu à peu la conversion nécessaire. Les évêques de France en ont fait l’expérience en novembre dernier à Lourdes et d’autres à Rome en février. Transformations profondes, j’en ai été témoin. Jamais on ne pourra prétendre saisir la souffrance d’une victime, mais au moins, quelque chose s’ouvre qui nous fait voir les choses différemment. Avec un récit concret de victime en tête, avec un visage dans la mémoire, on n’entendra plus l’annonce d’un nouveau cas de la même manière. Celui ou celle qui est en responsabilité n’agira plus de la même façon. Se confronter à l’horreur, c’est dur ! Et pourtant quel autre chemin est possible ?
L’horreur. Le dégout. La rage également ! Car au-delà du scandale de prêtres prédateurs, négations absolues du message qu’ils sont sensés servir, il y a le scandale d’autres dans l’institution – et sans doute de l’institution elle-même – qui ont tant tarder à réagir adéquatement. En France la première condamnation d’un évêque pour non signalement de pédocriminalité dans son diocèse remonte à 2001. C’est quinze ans avant que n’éclate l’affaire Barbarin ! Des mesures avaient été prises, des protocoles adoptés, et pourtant, malgré aussi tout ce qui s’est passé ailleurs en Irlande, en Allemagne, aux Etats Unis, au Chili, en Australie, malgré les orientations de plus en plus claires données par Rome, ce n’est vraiment que depuis trois ans que dans notre Eglise en France, la prise de conscience s’est généralisée et des actions substantielles on été entreprises. Les abus sidèrent ! Les errements, les résistances à agir, les manquements coupables dans l’institution provoquent la colère.
Rage. Colère. Voir, se laisser toucher par ce qu’on voit, c’est donc aussi reconnaître cette colère qui monte en moi. Cette Église c’est la mienne, j’en suis même un de ses prêtres. Et elle me fait honte ! et j’ai honte avec elle ! et je suis en rage contre elle ! avec elle ! « A nous la honte au visage » disait le prophète Daniel « Seigneur, à nous la honte au visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché contre toi » (Dn 9,8). Et Jésus dans le temple voit les vendeurs et entre dans ce qu’on pourrait appeler « une sainte colère » : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » (Jn 2, 16). Peut-être que ma honte peut m’ouvrir un chemin comme dans la prophétie de Daniel. Peut-être que la colère de Jésus peut venir réajuster la mienne.
Horreur des abus, scandale de l’institution qui tarde à prendre la mesure des choses, à écouter les victimes et finit par se faire complice : oser regarder et peser cela c’est accepter d’être profondément touché, affecté, bouleversé, blessé. Parce que c’est horrible, parce que cela touche aussi à ce qui m’est cher, à ma foi, au lieu où je mets ma confiance. Vulnérabilité ! Où puiser la force de se reconnaître ainsi fragile et vulnérable ? Sans doute en revenant à l’Évangile et à la figure de Jésus qui se rend proche de toute pauvreté, toute infirmité, toute fragilité, pour soigner, guérir, relever, libérer. Revenir à l’Évangile et au Christ, lui qui « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2, 6-8).
Juger
Voir en « osant transformer en souffrance personnelle » ce que nous voyons nous conduit à chercher à comprendre, à analyser, à faire un travail d’intelligence, même si nous savons que ce sera toujours maladroit, incomplet et inachevé. Chercher à comprendre pourtant, pour lutter contre le fléau. Travail de vérité indispensable qui nous fait passer du constat de faits terribles à la considération des mécanismes, des structures qui ont permis (qui permettent encore malheureusement) que de tels abus se produisent au sein de l’Eglise. Que ce travail soit à faire plus largement dans toute la société ne nous dédouane en aucun cas de notre devoir propre, en tant qu’Église. Il en va du sens même de notre mission d’être à la suite du Christ les messagers du Royaume. Il nous faut comprendre pourquoi des prêtres ont pu se livrer à de tels actes et pourquoi des supérieurs ont réagi trop souvent en occultant les délits. Pourquoi aussi, trop souvent, nous nous sommes tus ou avons détourné le regard comme le prêtre et le lévite de la parabole du bon samaritain. Pour cela, beaucoup peuvent nous aider en commençant par les victimes elles-mêmes. A nous de nous engager résolument sur le chemin.
Parmi tous les aspects de la question, un semble central. C’est la question du pouvoir. Pour reprendre les mots du théologien Hervé Legrand dans un article récent : « on a pris de plus en plus conscience du lien potentiel entre sexualité, pouvoir et violence.  […] Cette corrélation […] conduit la sexualité des forts à vouloir s’imposer aux faibles. Les abus sexuels ont toujours cette dimension. Les auteurs d’abus sur mineurs ont un profil identique : pères incestueux (dans 80% des cas jugés), enseignants, entraîneurs sportifs, chefs de chœur, chefs scouts. Ce sont des figures d’autorité, en contact avec des personnes vulnérables, tout comme le clergé. De tels abus sont donc hélas, et prévisibles et vérifiés dans l’Église »[4]. Et si au scandale des dérives sexuelles s’ajoute de manière redoublée le scandale des supérieurs et des évêques qui ont occulté des faits, ignoré des victimes et protégé des prédateurs, c’est bien de nouveau la question du pouvoir, de l’autorité et de leur exercice qui sont en jeu. Dans sa lettre au peuple de Dieu, le pape François parle dans un même mouvement d’abus sexuel, d’abus de pouvoir et d’abus de conscience. Il pointe alors, et ne cesse de le répéter depuis, « dire non aux abus c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme »[5]. En effet, explique de nouveau Hervé Legrand, « le type d’autorité et de pouvoir reconnu aux clercs dans l’Eglise catholique doit être réformé. Car en l’espèce, il facilite le passage à l’acte des délinquants potentiels, il leur assure aussi une couverture et il a conduit à la gestion désastreuse de ces abus »[6].
Qu’est-ce que le cléricalisme ? Une « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Eglise », « qui engendre une scission dans le corps ecclésial », nous dit le pape. Une manière déviante qui s’ancre dans tout un appareil théologique et canonique qui pendant longtemps a présenté l’Église en distinguant de manière abyssale le clergé et les laïcs. Saint Pie X dans une encyclique en 1906 écrivait : « l’Église est par essence une société inégale, c’est-à-dire comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau […]. Ces catégories sont tellement distinctes entre elles que, dans le corps pastoral, seuls résident et le droit et l’autorité nécessaire pour diriger tous les membres de la société ; quant à la multitude, elle n’a d’autres droit que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs »[7]. Le concile Vatican II a certes délégitimé cette conception en mettant à l’honneur la théologie du peuple de Dieu mais le chemin est encore long pour pleinement incarner cela à tous les niveaux de l’institution et particulièrement au plan de la gouvernance qui aujourd’hui reste majoritairement aux mains de clercs.
Le pape François le dit bien, le cléricalisme « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple »[8]. La sacralisation du prêtre, ce « Père », qui a le pouvoir de consacrer et d’absoudre, qui a aussi le savoir en matière théologique, et bien souvent morale, au contraire du laïc qui reste trop souvent du côté du non-pouvoir et du non-savoir, vient en contradiction avec cette reconnaissance fondamentale de la présence de la grâce baptismale et de la présence de l’Esprit Saint en tout baptisé et dans tout le peuple fidèle.
On voit sans difficulté les ravages de l’hyper sacralisation du prêtre quand elle se porte sur une personnalité perverse mais aussi lorsqu’il s’agit de réagir devant la révélation d’abus. Qui osera parler au curé, à l’évêque, au supérieur religieux si celui-ci est toujours du côté du sacré intouchable ?
Oui, les choses ont beaucoup changé depuis le Concile. Il me suffit de parler avec mes parents et de me rappeler mes grands-parents pour le constater. Et pourtant comme jeune prêtre, combien de fois me suis-je trouvé mal à l’aise par le poids que certains mettent dans l’appellation « mon Père » ? Combien de fois me suis-je senti honteux du traitement accordé à mes collègues théologiennes non reconnues à leur juste valeur dans le milieu des séminaires formant des futurs prêtres ? Combien de fois ai-je eu la rage au ventre en entendant une laïque en mission ecclésiale dans une aumônerie confier ses difficultés de relation avec le prêtre « accompagnateur » ? Quel étonnement d’entendre, encore tout récemment, un cadre avec de grandes responsabilités professionnelles et un engagement de longue durée dans l’Eglise reconnaitre : « Dans mon travail je n’ai aucunement peur de dire à mes supérieurs hiérarchiques ce que je pense quand je suis en désaccord avec eux mais c’est vrai qu’avec mon curé je ne le fais pas » ?
Comprendre les ressorts du cléricalisme contre lequel le pape nous invite à lutter n’a rien de simple mais pour nous convertir nous pouvons revenir à la source et contempler Celui que nous cherchons à suivre. « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 28) nous dit Jésus. Et encore « moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). Comme nous le célébrerons de nouveau la semaine prochaine, le jeudi saint, au soir de sa passion « Jésus […] se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture, puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture » (Jn 13, 3-5). Quand il est question de pouvoir dans l’Eglise, quand il est question de la place du prêtre, c’est bien à ce lieu précis de l’Évangile qu’il nous faut revenir.
Et de nouveau revient la réalité de vulnérabilité. Pour lutter contre toute dérive d’exercice d’un pouvoir qui tend vers la domination et la toute-puissance – et le pouvoir qui est lié au sacré s’y prêtre tellement facilement – ne dois-je pas d’abord reconnaître, et aider les autres à reconnaître chez moi, mes propres fragilités ? Accepter d’apparaître vulnérable ? Comme prêtre l’ordination ne fait pas de moi un surhomme, un demi-Dieu, elle ne fait pas de moi quelqu’un de différent de mes frères et sœurs en humanité. Elle m’invite simplement à prendre toujours davantage avec elles, avec eux, le chemin ouvert par le Christ serviteur.
Agir
Voir et juger nous conduit finalement à chercher comment agir. « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Joël 2, 13) entendions-nous au premier jour du Carême. Agir face au scandale des abus c’est forcément s’engager sur un chemin de profonde conversion. Conversion intérieure mais aussi conversion de nos pratiques. Véronique Margron, théologienne et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, liste 12 chantiers pour l’Église parmi lesquels :  mettre les victimes au centre, déconstruire le système clérical, s’ouvrir à une autorité plurielle en associant les femmes « à toutes les responsabilités », revisiter le rapport à l’autorité et à l’exercice du pouvoir, combattre les phénomènes d’emprise…[9]
Un axe me paraît incontournable sur la voie de la conversion : le dialogue. Dans l’Église aujourd’hui nous avons finalement très peu la culture la culture du dialogue qui inclut le débat. Des assemblées synodales ont pu montrer le chemin, certaines expériences locales ou de communauté également. Mais la route est encore longue pour que se réalise vraiment à l’intérieur de l’Eglise ce à quoi Saint Paul VI invitait dans son encyclique Ecclesiam suam. « Comme Nous voudrions le goûter en plénitude de foi, de charité, d’œuvres, ce dialogue de famille ! Combien Nous le voudrions intense et familier ! Combien sensible à toutes les vérités, à toutes les vertus, à toutes les réalités de notre patrimoine doctrinal et spirituel ! Combien sincère et ému dans son authentique spiritualité ! »[10]. Le pape François y revient également sans cesse !
Dialogue cela veut dire oser écouter et oser parler pour construire quelque chose ensemble, ou, en termes plus spirituels, pour que l’Esprit Saint agisse dans et au travers de tout le corps ecclésial. Oser écouter c’est se laisser interpeler par des situations de l’Évangile bien connues. « On présenta des enfants à Jésus. […] Mais les disciples les écartèrent vivement. Jésus leur dit : ‘Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent’ » (Mt 19, 13-14). Ou encore, l’histoire de l’aveugle Bartimée qui criant sur le bord du chemin pour implorer Jésus se voit rabroué par les gens autour de lui. Jésus, lui, s’arrête et le fait venir à lui (cf. Mc 10, 46-52). Où sont les enfants ? Où sont les Bartimée d’aujourd’hui qu’on est tenté d’écarter et que nous sommes invités à écouter ? Oser écouter les plus petits, les plus pauvres, et surtout, face au scandale des abus, oser écouter toutes les victimes… Cela veut dire aussi pour celles et ceux qui sont en responsabilité, savoir créer les conditions pour l’écoute, pour que la parole advienne, puisse se libérer.
Écouter, mais aussi, oser parler ! Le combat contre le cléricalisme nous concerne tous, clercs et non-clercs, avec des responsabilités différenciées. Certains ont besoin d’être encouragés à se taire pour mieux écouter, d’autres à rompre leur silence pour s’exprimer. Les guérisons de personnes muettes dans l’Évangile nous montrent bien qu’advenir à la parole est un chemin de salut, de libération.
Agir, oui ! Il nous le faut ! Mais de nouveau sans rien oublier de cette condition de fragilité et de vulnérabilité propre à notre humanité. Condition qui est chemin ouvert pour la grâce. La seconde lettre aux Corinthiens nous le rappelle : « ce que nous proclamons, ce n’est pas nous-mêmes ; c’est ceci : Jésus Christ est le Seigneur ; et nous sommes vos serviteurs, à cause de Jésus. […] Mais ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2 Co 4, 5.7). Nous sommes invités à agir en ayant conscience d’être ces vases d’argile par où se diffuse l’Esprit qui nous anime.
La crise que traverse notre Eglise nous place à une croisée de chemins. Le serpent de la Genèse faisait miroiter que nous serions comme des dieux (cf. Gn 3, 5). Saint Paul lui nous partage ce qu’il a reçu du Seigneur, dans sa faiblesse : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » (2 Co 12, 10). Quel chemin prendrons-nous pour devenir véritablement fils et filles de Dieu ? Chemin du pouvoir qui dérive en toute puissance ? Chemin du service qui se rend vulnérable ? Dieu nous travaille au souffle de l’Esprit. Son amour nous voit libre comme lui lorsque nous prenons le chemin du service[11].
Chant : Didier Rimaud, Pour que

[1] Elizabeth O’Donnell Gandolfo, The Power and Vulnerability of Love (Mineapolis, Fortress Press, 2015), p. 243.
[2] François, Laudato si’ 19.
[3] Isabelle de Gaulmyn, Histoire d’un silence (Paris, Seuil, 2016).
[4] Hervé Legrand, « Abus sexuels et cléricalisme » Etudes, avril 2019, p.81-82
[5] François, Lettre au peuple de Dieu, 20 août 2018, n° 2.
[6] Legrand, op. cit. p. 82.
[7] Pie X, Vehementer (1906), dans Les enseignements pontificaux. L’Église, tome 1, Desclée, 1959, p. 445.
[8] François, lettre au peuple de Dieu, 2.
[9] Véronique Margron, Un moment de vérité (Paris, Albin Michel, 2019).
[10] Paul VI, Ecclesiam suam 117.
[11] Cf. Didier Rimaud, Pour que l’homme soit un fils.


Aucun commentaire: