Le scandale de la pédophilie
Méditations de
Carême 2019
Mardi 9 avril –
Méditation 5
par Grégoire CATTA, s.j.
Responsable
à la conférence des évêques de France
du
service Familles et Société
« Une voix dans
Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte : c’est Rachel
qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont
plus » (Mt 2, 18). Dans l’évangile de Matthieu, devant l’horreur du
massacre par Hérode de tous les enfants de moins de deux ans de Béthléem et de la
région, l’évangéliste laisse monter la plainte d’une femme. Ces mots, dans la
prophétie de Jérémie, sont placés dans la bouche même du Seigneur :
« Ainsi parle le Seigneur : Dans Rama on entend une voix plaintive,
des pleurs amers : Rachel pleure sur ses enfants, elle refuse tout
réconfort, car ses enfants ont disparu. » (Jr 31,15). Force de la plainte
d’une mère, de tant de mères, qui face à l’innommable, hurlent l’horreur, le
scandale. Une théologienne, elle-même mère, voit déjà « dans ces cris et
dans ces larmes », dans cette plainte qui monte, « l’Esprit de Dieu
qui a compassion pour leur souffrance et promet un futur »[1]. Elle
souligne que cette incroyable capacité de résilience de tant de Rachel de par
le monde est véritablement manifestation de l’Esprit. Résilience qui commence
par l’expression d’une plainte, d’une compassion authentique, d’une solidarité
profonde dans la souffrance, qui devient alors promesse d’un futur. Dans le
même passage de la prophétie de Jérémie, il y a en effet ces paroles :
« Ainsi parle le Seigneur : Assez ! plus de voix plaintive, plus
de larmes dans les yeux » (Jr 31, 16). « Ecoutez la parole du
Seigneur : Je change leur deuil en joie, je les réconforte, je fais
s’épanouir les affligés » (Jr 31, 13). Promesse d’un futur certes mais qui
ne fait pas l’économie de la plainte et d’un temps de deuil probablement long.
Devant les scandales
multiples qui secouent l’Eglise, ces révélations successives de pédocriminalité
et d’autres abus, mon chemin de méditation aujourd’hui voudrait s’inspirer de
celui de Rachel, sans prétendre l’imiter. Le chemin d’une longue plainte, d’une
com-passion, c’est-à-dire d’un souffrir avec, où, me laissant atteindre dans ma
fragilité, me reconnaissant vulnérable, une promesse, peut-être, pourra se
faire entendre, la grâce, peut-être, pourra agir.
Qui suis-je pour
risquer une telle méditation aujourd’hui ? Les études de théologie – même
de théologie morale – sont d’un piètre secours. Je ne suis pas une victime. Je
ne suis pas un évêque ou un supérieur religieux en responsabilité. Je ne suis
pas non plus un expert ou un spécialiste. Mais je suis baptisé, religieux,
prêtre depuis 8 ans. En 2004, j’ai passé un mois en Irlande avec un groupe de
jeunes jésuites de toute l’Europe. Cela faisait déjà plusieurs années que ce
pays avait été secoué par une première vague de scandales d’abus et nous avions
écouté le témoignage d’une victime. Première prise de conscience pour moi.
Depuis j’ai fait un séjour de quatre ans à Boston aux États Unis et l’an passé
j’étais au Chili, d’autres lieux où l’Eglise catholique est profondément
marquée par les scandales. Je vis en ce moment en France…
« Il est
inévitable qu’arrivent les scandales » nous rappelle l’Evangile, mais en
ajoutant aussi « malheureux le monde à cause des scandales » et
« malheureux celui par qui le scandale arrive » (Mt 18, 7).
Malheureux sommes-nous ! Ce malheur j’y suis plongé, ni plus ni moins
qu’un autre baptisé. Mais je suis touché, affecté, au plus profond car il
semble bien que « celui par qui arrive le scandale », ce soit des
membres de cette Eglise où je suis engagé pour le service du Royaume, et cela
inclus la Compagnie de Jésus dans laquelle j’ai fait vœu de suivre le Christ.
Voilà d’où je risque cette méditation.
Puisque j’enseigne la
doctrine sociale de l’Eglise, c’est le chemin familier du voir-juger-agir que
je vais prendre avec vous. A chaque étape, la dimension de vulnérabilité propre
à la condition humaine viendra inévitablement au rendez-vous.
Voir
Comme le pape
François nous y invite dans un autre contexte, « l’objectif n’est pas de
recueillir des informations ni de satisfaire notre curiosité, mais de prendre
une douloureuse conscience, d’oser transformer en souffrance personnelle ce qui
se passe dans le monde »[2]. Voir avec
les yeux, « voir » avec tous les sens, voir aussi avec l’intelligence
et avec le cœur. Comme Jésus voit la foule et se laisse émouvoir (cf. Mc 6,34)
ou encore comme il voit Jérusalem et pleure (cf. Lc 19,41).
Certains, certaines,
portent la souffrance des abus au cœur même de leur chair. D’autres ont reçu
des témoignages directs dans le cadre de relations interpersonnelles. Pour
d’autres encore, dont je fais partie, ces témoignages se font au travers de
films, de documentaires, de livres, de conférences. J’ai vu Spotlight le film qui parle du
diocèse de Boston, j’ai vu El Bosque
de Karadima un film chilien, j’ai
vu plus récemment Grâce à Dieu et
aussi le récent reportage d’Arte. J’ai lu Histoire d’un silence, l’admirable enquête d’Isabelle de
Gaulmyn sur l’affaire Preynat[3]… A chaque fois
j’en suis sorti retourné, chamboulé, atterré, horrifié mais j’ai aussi pris un
peu plus la mesure du drame des abus, de l’impact sur toute une enfance, toute
une vie. On peut écouter les explications des spécialistes, suivre des
formations de prévention, mais c’est bien la parole et l’histoire des victimes
elles-mêmes qui suscitent peu à peu la conversion nécessaire. Les évêques de
France en ont fait l’expérience en novembre dernier à Lourdes et d’autres à
Rome en février. Transformations profondes, j’en ai été témoin. Jamais on ne
pourra prétendre saisir la souffrance d’une victime, mais au moins, quelque
chose s’ouvre qui nous fait voir les choses différemment. Avec un récit concret
de victime en tête, avec un visage dans la mémoire, on n’entendra plus
l’annonce d’un nouveau cas de la même manière. Celui ou celle qui est en
responsabilité n’agira plus de la même façon. Se confronter à l’horreur, c’est
dur ! Et pourtant quel autre chemin est possible ?
L’horreur. Le dégout.
La rage également ! Car au-delà du scandale de prêtres prédateurs,
négations absolues du message qu’ils sont sensés servir, il y a le scandale
d’autres dans l’institution – et sans doute de l’institution elle-même – qui
ont tant tarder à réagir adéquatement. En France la première condamnation d’un
évêque pour non signalement de pédocriminalité dans son diocèse remonte à 2001.
C’est quinze ans avant que n’éclate l’affaire Barbarin ! Des mesures
avaient été prises, des protocoles adoptés, et pourtant, malgré aussi tout ce
qui s’est passé ailleurs en Irlande, en Allemagne, aux Etats Unis, au Chili, en
Australie, malgré les orientations de plus en plus claires données par Rome, ce
n’est vraiment que depuis trois ans que dans notre Eglise en France, la prise
de conscience s’est généralisée et des actions substantielles on été
entreprises. Les abus sidèrent ! Les errements, les résistances à agir,
les manquements coupables dans l’institution provoquent la colère.
Rage. Colère. Voir,
se laisser toucher par ce qu’on voit, c’est donc aussi reconnaître cette colère
qui monte en moi. Cette Église c’est la mienne, j’en suis même un de ses
prêtres. Et elle me fait honte ! et j’ai honte avec elle ! et je suis
en rage contre elle ! avec elle ! « A nous la honte au
visage » disait le prophète Daniel « Seigneur, à nous la honte au
visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché
contre toi » (Dn 9,8). Et Jésus dans le temple voit les vendeurs et entre
dans ce qu’on pourrait appeler « une sainte colère » : « Enlevez
cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
(Jn 2, 16). Peut-être que ma honte peut m’ouvrir un chemin comme dans la
prophétie de Daniel. Peut-être que la colère de Jésus peut venir réajuster la
mienne.
Horreur des abus,
scandale de l’institution qui tarde à prendre la mesure des choses, à écouter
les victimes et finit par se faire complice : oser regarder et peser cela
c’est accepter d’être profondément touché, affecté, bouleversé, blessé. Parce
que c’est horrible, parce que cela touche aussi à ce qui m’est cher, à ma foi,
au lieu où je mets ma confiance. Vulnérabilité ! Où puiser la force de se
reconnaître ainsi fragile et vulnérable ? Sans doute en revenant à
l’Évangile et à la figure de Jésus qui se rend proche de toute pauvreté, toute
infirmité, toute fragilité, pour soigner, guérir, relever, libérer. Revenir à
l’Évangile et au Christ, lui qui « ayant la condition de Dieu, ne retint
pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la
condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son
aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la
croix » (Ph 2, 6-8).
Juger
Voir en « osant
transformer en souffrance personnelle » ce que nous voyons nous conduit à
chercher à comprendre, à analyser, à faire un travail d’intelligence, même si
nous savons que ce sera toujours maladroit, incomplet et inachevé. Chercher à
comprendre pourtant, pour lutter contre le fléau. Travail de vérité
indispensable qui nous fait passer du constat de faits terribles à la
considération des mécanismes, des structures qui ont permis (qui permettent
encore malheureusement) que de tels abus se produisent au sein de l’Eglise. Que
ce travail soit à faire plus largement dans toute la société ne nous dédouane
en aucun cas de notre devoir propre, en tant qu’Église. Il en va du sens même
de notre mission d’être à la suite du Christ les messagers du Royaume. Il
nous faut comprendre pourquoi des prêtres ont pu se livrer à de tels actes
et pourquoi des supérieurs ont réagi trop souvent en occultant les délits.
Pourquoi aussi, trop souvent, nous nous sommes tus ou avons détourné le regard
comme le prêtre et le lévite de la parabole du bon samaritain. Pour cela,
beaucoup peuvent nous aider en commençant par les victimes elles-mêmes. A nous
de nous engager résolument sur le chemin.
Parmi tous les
aspects de la question, un semble central. C’est la question du pouvoir. Pour
reprendre les mots du théologien Hervé Legrand dans un article récent :
« on a pris de plus en plus conscience du lien potentiel entre sexualité,
pouvoir et violence. […] Cette corrélation […] conduit la sexualité des
forts à vouloir s’imposer aux faibles. Les abus sexuels ont toujours cette
dimension. Les auteurs d’abus sur mineurs ont un profil identique : pères
incestueux (dans 80% des cas jugés), enseignants, entraîneurs sportifs, chefs
de chœur, chefs scouts. Ce sont des figures d’autorité, en contact avec des
personnes vulnérables, tout comme le clergé. De tels abus sont donc hélas, et
prévisibles et vérifiés dans l’Église »[4]. Et si au
scandale des dérives sexuelles s’ajoute de manière redoublée le scandale des
supérieurs et des évêques qui ont occulté des faits, ignoré des victimes et
protégé des prédateurs, c’est bien de nouveau la question du pouvoir, de
l’autorité et de leur exercice qui sont en jeu. Dans sa lettre au peuple de
Dieu, le pape François parle dans un même mouvement d’abus sexuel, d’abus de pouvoir
et d’abus de conscience. Il pointe alors, et ne cesse de le répéter depuis,
« dire non aux abus c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de
cléricalisme »[5]. En effet,
explique de nouveau Hervé Legrand, « le type d’autorité et de pouvoir
reconnu aux clercs dans l’Eglise catholique doit être réformé. Car en l’espèce,
il facilite le passage à l’acte des délinquants potentiels, il leur assure
aussi une couverture et il a conduit à la gestion désastreuse de ces
abus »[6].
Qu’est-ce que le
cléricalisme ? Une « manière déviante de concevoir l’autorité dans
l’Eglise », « qui engendre une scission dans le corps
ecclésial », nous dit le pape. Une manière déviante qui s’ancre dans tout
un appareil théologique et canonique qui pendant longtemps a présenté l’Église
en distinguant de manière abyssale le clergé et les laïcs. Saint Pie X dans une
encyclique en 1906 écrivait : « l’Église est par essence une société
inégale, c’est-à-dire comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et
le troupeau […]. Ces catégories sont tellement distinctes entre elles que, dans
le corps pastoral, seuls résident et le droit et l’autorité nécessaire pour
diriger tous les membres de la société ; quant à la multitude, elle n’a
d’autres droit que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre
ses pasteurs »[7]. Le concile
Vatican II a certes délégitimé cette conception en mettant à l’honneur la
théologie du peuple de Dieu mais le chemin est encore long pour pleinement
incarner cela à tous les niveaux de l’institution et particulièrement au plan
de la gouvernance qui aujourd’hui reste majoritairement aux mains de clercs.
Le pape François le
dit bien, le cléricalisme « annule non seulement la personnalité des chrétiens,
mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que
l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple »[8]. La
sacralisation du prêtre, ce « Père », qui a le pouvoir de consacrer
et d’absoudre, qui a aussi le savoir en matière théologique, et bien souvent
morale, au contraire du laïc qui reste trop souvent du côté du non-pouvoir et
du non-savoir, vient en contradiction avec cette reconnaissance fondamentale de
la présence de la grâce baptismale et de la présence de l’Esprit Saint en tout
baptisé et dans tout le peuple fidèle.
On voit sans
difficulté les ravages de l’hyper sacralisation du prêtre
quand elle se porte sur une personnalité perverse mais aussi lorsqu’il s’agit
de réagir devant la révélation d’abus. Qui osera parler au
curé, à l’évêque, au supérieur religieux si celui-ci est toujours du côté du
sacré intouchable ?
Oui, les choses ont
beaucoup changé depuis le Concile. Il me suffit de parler avec mes parents et
de me rappeler mes grands-parents pour le constater. Et pourtant comme jeune
prêtre, combien de fois me suis-je trouvé mal à l’aise par le poids que
certains mettent dans l’appellation « mon Père » ? Combien de
fois me suis-je senti honteux du traitement accordé à mes collègues
théologiennes non reconnues à leur juste valeur dans le milieu des séminaires
formant des futurs prêtres ? Combien de fois ai-je eu la rage au ventre en
entendant une laïque en mission ecclésiale dans une aumônerie confier ses
difficultés de relation avec le prêtre « accompagnateur » ? Quel
étonnement d’entendre, encore tout récemment, un cadre avec de grandes
responsabilités professionnelles et un engagement de longue durée dans l’Eglise
reconnaitre : « Dans mon travail je n’ai aucunement peur de dire à
mes supérieurs hiérarchiques ce que je pense quand je suis en désaccord avec
eux mais c’est vrai qu’avec mon curé je ne le fais pas » ?
Comprendre les
ressorts du cléricalisme contre lequel le pape nous invite à lutter n’a rien de
simple mais pour nous convertir nous pouvons revenir à la source et contempler
Celui que nous cherchons à suivre. « Le Fils de l’homme n’est pas venu
pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la
multitude » (Mt 20, 28) nous dit Jésus. Et encore « moi, je
suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). Comme nous le
célébrerons de nouveau la semaine prochaine, le jeudi saint, au soir de sa
passion « Jésus […] se lève de table, dépose son vêtement, et prend un
linge qu’il se noue à la ceinture, puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors
il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il
avait à la ceinture » (Jn 13, 3-5). Quand il est question de pouvoir dans
l’Eglise, quand il est question de la place du prêtre, c’est bien à ce lieu précis
de l’Évangile qu’il nous faut revenir.
Et de nouveau revient
la réalité de vulnérabilité. Pour lutter contre toute dérive d’exercice d’un
pouvoir qui tend vers la domination et la toute-puissance – et le pouvoir qui
est lié au sacré s’y prêtre tellement facilement – ne dois-je pas d’abord
reconnaître, et aider les autres à reconnaître chez moi, mes propres
fragilités ? Accepter d’apparaître vulnérable ? Comme
prêtre l’ordination ne fait pas de moi un surhomme, un demi-Dieu, elle ne fait
pas de moi quelqu’un de différent de mes frères et sœurs en humanité.
Elle m’invite simplement à prendre toujours davantage avec elles, avec eux, le
chemin ouvert par le Christ serviteur.
Agir
Voir et juger nous
conduit finalement à chercher comment agir. « Déchirez vos cœurs et non
pas vos vêtements » (Joël 2, 13) entendions-nous au premier jour du
Carême. Agir face au scandale des abus c’est forcément s’engager sur un chemin
de profonde conversion. Conversion intérieure mais aussi conversion de nos
pratiques. Véronique Margron, théologienne et présidente de la Conférence des
religieux et religieuses de France, liste 12 chantiers pour l’Église parmi
lesquels : mettre les victimes au centre, déconstruire le système
clérical, s’ouvrir à une autorité plurielle en associant les femmes « à
toutes les responsabilités », revisiter le rapport à l’autorité et à
l’exercice du pouvoir, combattre les phénomènes d’emprise…[9]
Un axe me paraît
incontournable sur la voie de la conversion : le dialogue. Dans l’Église
aujourd’hui nous avons finalement très peu la culture la culture du dialogue
qui inclut le débat. Des assemblées synodales ont pu montrer le chemin,
certaines expériences locales ou de communauté également. Mais la route est
encore longue pour que se réalise vraiment à l’intérieur de l’Eglise ce à quoi
Saint Paul VI invitait dans son encyclique Ecclesiam suam. « Comme Nous voudrions le goûter en
plénitude de foi, de charité, d’œuvres, ce dialogue de famille ! Combien Nous
le voudrions intense et familier ! Combien sensible à toutes les vérités, à
toutes les vertus, à toutes les réalités de notre patrimoine doctrinal et
spirituel ! Combien sincère et ému dans son authentique spiritualité ! »[10].
Le pape François y revient également sans cesse !
Dialogue cela veut
dire oser écouter et oser parler pour construire quelque chose ensemble, ou, en
termes plus spirituels, pour que l’Esprit Saint agisse dans et au travers de
tout le corps ecclésial. Oser écouter c’est se laisser interpeler par des
situations de l’Évangile bien connues. « On présenta des enfants à Jésus. […]
Mais les disciples les écartèrent vivement. Jésus leur dit : ‘Laissez les
enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à
ceux qui leur ressemblent’ » (Mt 19, 13-14). Ou encore, l’histoire de l’aveugle
Bartimée qui criant sur le bord du chemin pour implorer Jésus se voit rabroué par
les gens autour de lui. Jésus, lui, s’arrête et le fait venir à lui (cf. Mc 10,
46-52). Où sont les enfants ? Où sont les Bartimée d’aujourd’hui qu’on est
tenté d’écarter et que nous sommes invités à écouter ? Oser écouter les
plus petits, les plus pauvres, et surtout, face au scandale des abus, oser
écouter toutes les victimes… Cela veut dire aussi pour celles et ceux qui sont
en responsabilité, savoir créer les conditions pour l’écoute, pour que la
parole advienne, puisse se libérer.
Écouter, mais aussi,
oser parler ! Le combat contre le cléricalisme nous concerne tous, clercs
et non-clercs, avec des responsabilités différenciées. Certains ont besoin
d’être encouragés à se taire pour mieux écouter, d’autres à rompre leur silence
pour s’exprimer. Les guérisons de personnes muettes dans l’Évangile nous
montrent bien qu’advenir à la parole est un chemin de salut, de libération.
Agir, oui ! Il
nous le faut ! Mais de nouveau sans rien oublier de cette condition de
fragilité et de vulnérabilité propre à notre humanité. Condition qui est chemin
ouvert pour la grâce. La seconde lettre aux Corinthiens nous le rappelle :
« ce que nous proclamons, ce n’est pas nous-mêmes ; c’est ceci : Jésus
Christ est le Seigneur ; et nous sommes vos serviteurs, à cause de Jésus. […]
Mais ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit
bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de
nous » (2 Co 4, 5.7). Nous sommes invités à agir en ayant conscience
d’être ces vases d’argile par où se diffuse l’Esprit qui nous anime.
La crise que traverse
notre Eglise nous place à une croisée de chemins. Le serpent de la Genèse
faisait miroiter que nous serions comme des dieux (cf. Gn 3, 5). Saint
Paul lui nous partage ce qu’il a reçu du Seigneur, dans sa faiblesse :
« Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la
faiblesse. » (2 Co 12, 10). Quel chemin prendrons-nous pour devenir
véritablement fils et filles de Dieu ? Chemin du pouvoir qui dérive en
toute puissance ? Chemin du service qui se rend vulnérable ? Dieu
nous travaille au souffle de l’Esprit. Son amour nous voit libre comme lui
lorsque nous prenons le chemin du service[11].
Chant : Didier Rimaud, Pour que
[1] Elizabeth O’Donnell Gandolfo, The Power and Vulnerability of Love (Mineapolis,
Fortress Press, 2015), p. 243.
[7] Pie X, Vehementer (1906),
dans Les enseignements pontificaux.
L’Église, tome 1, Desclée, 1959, p. 445.
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