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Le
Monde.fr
Pédophilie : « Nous sommes accablés et honteux », disent les évêques allemands
Un grand rapport sur des milliers de cas d’abus
sexuels sur mineurs vient d’être rendu public
LE MONDE | 25.09.2018 à
10h38 • Mis à jour le 25.09.2018 à 14h32 | Par Thomas
Wieder (Berlin, correspondant)
Huit ans : c’est le temps qu’il aura
fallu à l’Eglise catholique allemande pour prendre la mesure du
scandale. En rendant publique, mardi 25 septembre à Fulda
(Hesse), une étude de 350 pages consacrée aux « abus sexuels
commis sur des mineurs par des prêtres, des diacres et des
religieux catholiques » de 1946 à 2014, la Conférence des
évêques allemands veut convaincre l’opinion publique que la page
ouverte en 2010 est définitivement tournée. Cette année-là,
le pays avait été secoué par des révélations en série sur
d’anciennes affaires de pédophilie dans plusieurs établissements
catholiques de renom, comme le collège jésuite Canisius, à
Berlin, ou le chœur des chanteurs de Ratisbonne (Bavière), dirigé
pendant trente ans par Georg Ratzinger, dont le frère, Benoît XVI,
était pape quand le scandale a éclaté.
Pour l’essentiel, le contenu de l’étude –
commandée par la Conférence des évêques en 2013 et pilotée
par une équipe de chercheurs des universités de Heidelberg,
Mannheim et Giessen – est déjà connu depuis les fuites parues,
le 12 septembre, dans Die Zeit et Der Spiegel.
Sur soixante-huit ans, les auteurs ont pu établir que 1 670
membres de l’Eglise catholique allemande ont agressé sexuellement
3 677 mineurs, en majorité des garçons de moins de 13 ans,
ce qui signifie qu’au moins 4,4 % de l’ensemble des
religieux ont abusé d’enfants. Encore ne s’agit-il là que
d’une évaluation plancher, les auteurs reconnaissant que des cas
leur ont nécessairement échappé. D’après leurs statistiques,
trois victimes sur quatre auraient été agressées dans une église
ou dans le cadre d’activités pastorales. Une victime sur six
aurait été violée.
L’étude met également en évidence l’impunité
dont ont bénéficié les agresseurs. Sur les 1 670 religieux
mis en cause, seulement 566, soit un tiers environ, ont été
poursuivis canoniquement. Parmi eux, à peine une quarantaine ont
été exclus de l’Eglise, la plupart des procédures s’étant
conclues par des sanctions peu sévères. La justice pénale, elle,
n’a été saisie que dans une centaine de cas.
Quelles suites l’Eglise donnera-t-elle à cette
étude ? « Nous sommes accablés et honteux »,
a déjà affirmé la Conférence épiscopale allemande, dans un
communiqué, le 12 septembre. « Cette étude doit
ouvrir et elle ouvrira un débat », a quant à lui promis
le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la
Conférence épiscopale, lundi 24 septembre, allant jusqu’à
qualifier sa publication de « tournant dans l’histoire
de l’Eglise catholique ».
L’attente en Allemagne, en tout cas, est très
grande. « Je suis content que cette étude existe, c’est
mieux que rien, mais on est loin du compte et il y a encore beaucoup
à faire », explique Matthias Katsch, président de
l’association Eckiger Tisch, qui représente les victimes de
violences sexuelles commises au sein d’établissements jésuites
en Allemagne.
Archives inaccessibles
A ses yeux, le document publié mardi présente
en effet trois défauts majeurs : ses auteurs n’ont pas eu
accès aux archives, mais ont été « tributaires des
informations que les diocèses ont bien voulu leur communiquer » ;
l’étude n’entre dans « aucun détail concernant la
situation de tel ou tel diocèse ou le rôle de tel ou tel
prélat » ; enfin, elle ne concerne « que
l’Eglise stricto sensu, en laissant de côté ce qui s’est passé
dans les institutions qui lui sont liées », à commencer
par les établissements d’enseignement. « Un cas comme
le mien, par exemple, ne figure pas dans l’étude »,
explique M. Katsch, qui fut victime d’abus sexuels quand il était
élève au collège Canisius, à Berlin, dans les années 1970.
Autant que des excuses et que la mise en place de
dispositifs de prévention et d’alerte prouvant que l’Eglise est
déterminée à empêcher que de tels actes se reproduisent, les
associations de victimes attendent surtout qu’elle fasse preuve de
beaucoup plus de transparence. « Pour que l’Eglise
retrouve sa crédibilité, il faudrait qu’elle accepte de se
soumettre à une commission d’enquête d’Etat totalement
indépendante », estime M. Katsch.
Une commission d’enquête ?
Johannes-Wilhelm Rörig, délégué fédéral chargé des questions
d’abus sur mineurs, un poste créé par le gouvernement allemand à
la suite des révélations qui ont secoué le pays en 2010, ne
va pas jusque-là. Interrogé, lundi 24 septembre, par la
Süddeutsche Zeitung, cet ancien magistrat attend néanmoins
que l’Etat fédéral et les Länder jouent un rôle beaucoup plus
actif que par le passé, et notamment qu’ils s’entendent avec
l’épiscopat afin que « soient mises en place des règles
claires permettant d’avoir accès aux archives » d’une
Eglise qui, jusque-là, a toujours considéré que c’était à
elle de contrôler l’accès aux informations qui pouvaient la
compromettre.
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Vos réactions (6)
JOCHEN LANG il y a 3 semaines
Ah, toujours la lorgnette française, evêques,
Eglise, cela doit être catholique et pourtant, en Allemagne aussi
l'église protestante a des evêques, est une église et a tant de
croyants que l'église catholique. On a déjà une fois noté cela
lors du dernier article de M. Wieder sur le sujet, mais il comprend
toujours pas (et pourtant, il a fait un article l'année passée sur
les 500 ans de la réformation...). Tant que je sache, l'église
protestante (EKD) n'est pas concernée !
FD il y a 3 semaines
Les Allemands payent des impôts pour ça...
JEAN-PIERRE WELEMANE il y a 3 semaines
Eternelle naïveté des églises.
Les détails il y a 3 semaines
Des églises ? Tant que je sache c'est seulement
l'église catholique qui est concernée, pas les autres églises
allemandes.
Marie chat il y a 3 semaines
Toujours le double langage de l’Eglise! Oui aux
commissions d’enquête, mais non à l’accès total aux archives.
C’est la mère demandant à sa fille d’aller cueillir un chou
dans le jardin et lui interdisant de marcher dans la dite
plate-bande. En résumé,de l’eau bénite de cour! Continuons la
lutte! Pape de parole,...paroles?A quand des actes conformes au
message évangélique?f Ce que vous ferez au plus petit c’est à
moi que vous le ferez ». Oui, quand le « vous » ne
concerne pas les gens d’Eglise.
Pierre HUBU il y a 3 semaines
Tartufes !!!
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Le diocèse de Brooklyn (New York)
devra verser la somme record de 23 millions de dollars
(19 millions d’euros) à quatre jeunes gens agressés
sexuellement par un responsable catholique de 2003 à 2009, alors
qu’ils étaient âgés de 8 à 12 ans. Cet arrangement financier,
rendu public mardi 18 septembre, est le dernier d’une longue
série qui, depuis la fin des années 1990, a coûté près de
3 milliards de dollars à l’Eglise catholique aux Etats-Unis.
Plusieurs diocèses ont dû se déclarer en faillite à la suite de
ces accords, qui évitent les procès publics.
Régulièrement secouée par des affaires
d’agressions sexuelles commises par le clergé et couvertes par la
hiérarchie depuis les révélations du Boston Globe dans
la région de Boston (Massachusetts) en 2002, l’institution a
assuré à plusieurs reprises avoir changé ses pratiques dans la
gestion des prêtres coupables de pédophilie. Une charte pour la
protection des enfants et des jeunes adoptée en 2002 par la
conférence des évêques prévoit notamment la dénonciation
obligatoire des faits aux autorités civiles, la suspension du
présumé coupable de ses fonctions, l’accueil et l’écoute des
victimes…
Lire aussi : Pédophilie
dans l’Eglise : en Irlande, la lenteur des investigations a
exacerbé la colère des victimes
Pourtant, confrontés à de nouvelles critiques
après le rapport accablant issu des investigations du procureur
général de Pennsylvanie en août et les accusations portées
contre l’ancien archevêque de Washington, Theodore McCarrick, les
évêques américains ont annoncé le 19 septembre de nouvelles
procédures de protection et de sanction. Soupçonnés de
s’autoprotéger, ils s’engagent désormais à associer une
« tierce partie » au processus de réception des
plaintes contre les prélats. Ainsi, une ancienne juge fédérale
vient d’être nommée par l’archevêque de New York conseillère
spéciale sur ces affaires. Un code de bonne conduite, apparemment
inexistant jusqu’à présent, sera rédigé pour aider les évêques
à mieux gérer les cas de pédophilie ou d’abus sexuels sur
majeurs.
Soucieux de démontrer l’ampleur des progrès
réalisés, selon eux, dans le traitement de ces affaires depuis une
quinzaine d’années, les responsables de l’Eglise catholique
mettent régulièrement en avant le travail réalisé à leur
demande par les chercheurs du John Jay College of Criminal Justice.
En 2004, ce rapport universitaire, qui faisait le point sur les
milliers d’accusations relevées entre 1950 et 2002, avait montré
que la majeure partie des faits allégués s’étaient produits
dans les années 1970 et 1980. Le Center for Applied Research in the
Apostolate, un centre de recherche catholique, a de son côté
comptabilisé 302 plaintes entre 2004 et 2017.
A la suite du rapport publié en Pennsylvanie,
sept Etats américains ont lancé des enquêtes similaires dans
plusieurs dizaines de diocèses. La plupart se sont engagés à
collaborer.
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Pédophilie dans l’Eglise : en Irlande, la lenteur des investigations a exacerbé la colère des victimes
La hiérarchie ecclésiastique met des obstacles
aux enquêtes, et profite depuis 2002 d’un accord qui limite le
montant des indemnisations.
LE MONDE | 25.09.2018 à
10h49 • Mis à jour le 25.09.2018 à 15h44 | Par Philippe
Bernard (Londres, correspondant)
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Force dominante dans la construction de la
République irlandaise après l’indépendance de 1921, l’Eglise
a géré pendant des lustres les principales institutions scolaires,
sanitaires et sociales du pays. Dès lors, la révélation, à
partir des années 1990, des violences notamment sexuelles commises
à grande échelle par des membres du clergé a pris la dimension
d’un scandale d’Etat. A l’impunité dont ont bénéficié les
auteurs, à la protection que leur a procurée l’Eglise, s’est
longtemps ajoutée la complaisance des autorités civiles.
Près d’une décennie a séparé les premiers
témoignages télévisés de la publication, en 2009, de deux
énormes rapports commandités par le gouvernement dressant une
interminable et terrible liste des abus commis depuis les années
1930 par des prêtres couverts par la hiérarchie catholique, tant
dans des orphelinats et des écoles techniques réservées aux « cas
sociaux » que dans les paroisses.
Cinq
rapports successifs, dont le dernier en 2011,
ont conclu que des milliers d’enfants avaient été violés ou
maltraités physiquement « de façon endémique »
dans des écoles ou d’autres institutions contrôlées par
l’Eglise. « Les mauvais traitements n’étaient pas des
anomalies du système. C’était le système lui-même »,
a résumé l’Irish Times. Les révélations se sont
ensuite étendues aux « filles mères » maltraitées par
des religieuses et dont les enfants étaient réduits à la famine
ou donnés d’autorité en adoption.
« Le viol et la torture ont été minimisés »
Au-delà des « excuses »
répétées aux victimes, le gouvernement irlandais a promis de
poursuivre les auteurs et a entrepris une réforme des services
d’aide à l’enfance. Au total, la police a été saisie de 8 967
plaintes, et de nouvelles plaintes lui parviennent sans cesse. Mais
la lenteur des enquêtes, la difficulté de réunir des preuves et
les obstacles posés par la hiérarchie catholique ont exacerbé la
colère des victimes. Celles-ci s’insurgent en particulier contre
un accord survenu en 2002 entre l’Etat et l’Eglise qui a
plafonné à 128 millions d’euros les indemnités, laissant
au contribuable la facture totale des réparations, estimée à
1,5 milliard d’euros. La législation irlandaise fait
obstacle à la publication des noms des auteurs des agressions, mais
le site américain BishopAccountability.org
estime que, sur 1 300 prêtres irlandais
impliqués, seuls 93 ont été mis en examen ou formellement
identifiés, et que certains, simplement mutés, restent en
activité.
« Le viol et la torture des enfants ont
été minimisés ou gérés de façon à défendre l’institution,
son pouvoir, son statut et sa réputation », a déclaré
en 2011 devant le Parlement le premier ministre Enda Kenny. Les
Irlandais, tout en continuant à se déclarer massivement
catholiques (78 %) ont déserté les lieux de culte, surtout
dans les villes, et ils ont pris des libertés par rapport à
certains des messages de l’Eglise. En 2015, ils ont voté à
62 % en faveur du mariage entre personnes du même sexe et, en
mai, 66 % ont dit oui au droit à l’avortement. Depuis 2017,
le pays a choisi un premier ministre homosexuel dont le père est
indien, Leo Varadkar.
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Pédophilie dans l’Eglise : pourquoi la France ne réagit pas
La prise de conscience progresse parmi les
prélats français, mais à la différence de plusieurs pays, aucune
opération vérité à grande échelle n’existe.
LE MONDE | 25.09.2018 à
06h36 • Mis à jour le 25.09.2018 à 17h27 | Par Cécile
Chambraud
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Un coin du voile commence à se lever. En
Allemagne, les évêques devaient rendre public, mardi 25 septembre,
un rapport établissant que 1 670 clercs de l’Eglise
catholique ont agressé sexuellement au moins 3 677 mineurs
entre 1946 et 2014. Aux Etats-Unis, le 14 août, le procureur
de Pennsylvanie détaillait les violences commises sur plus de 1 000
enfants et adolescents par au moins 300 prêtres dans six des huit
diocèses de cet Etat pendant cinq ou six décennies. En Australie,
une commission d’enquête a répertorié 4 444 cas d’abus
entre 1980 et 2015 et identifié 1 900 religieux incriminés.
En 2009, en Irlande, le rapport Murphy dépeignait trente ans
d’exactions et d’omerta dans le diocèse de Dublin, où les
plaintes des familles n’ont pas été prises au sérieux par les
évêques successifs, alors même qu’au moins 46 prêtres
avaient abusé plus de 400 enfants.
Ces quelques études localisées mais
systématiques sur les violences sexuelles dans l’Eglise
catholique ont été conduites dans le sillage des grands scandales
apparus depuis les années 1990 et 2000. Elles montrent comment,
dans des contextes variés, nichés dans les replis de l’institution
ecclésiale, des prêtres ont pu, impunément, pendant des
décennies, commettre des violences sexuelles sur des enfants et des
adolescents. La proportion de prêtres mis en cause que ces études
ont pu recenser varie entre 7 % pour la commission royale
australienne et 4,4 % dans l’enquête allemande.
Ces investigations établissent aussi que des
évêques ou des supérieurs religieux ont, selon des schémas
analogues, ignoré ou minoré des cas, fait écran entre les
agresseurs et la justice civile, maintenu des prédateurs au contact
d’enfants et, comme conséquence de tout cela, permis que d’autres
enfants soient violentés. Il est aujourd’hui démontré que le
diocèse de Boston, dont le film Spotlight (2016) a
raconté l’histoire, n’était pas une exception.
Prêtres accablés, fidèles perdus
L’Eglise catholique hésite encore à regarder
en face ces faits de nature à interroger son fonctionnement même.
Pourtant, depuis cet été et les révélations sur les diocèses de
Pennsylvanie et sur les mœurs de l’ancien archevêque de
Washington Theodore McCarrick, aux Etats-Unis et ailleurs, des
groupes de laïcs, des ecclésiastiques, qui jusqu’à présent
voyaient, tétanisés, surgir les scandales les uns après les
autres, commencent à réclamer que toute la clarté soit faite.
En France, la presse catholique s’est faite
plus pressante. « Abus sexuels, état d’urgence dans
l’Eglise », titrait le quotidien La Croix le
13 septembre, avant de publier, le 19, un dossier complet sur
la lutte contre le cléricalisme, source des abus, selon le pape
François.
La chaîne de télévision catholique KTO a
organisé, vendredi 21 septembre, une nouvelle émission « sans
langue de bois » sur la pédophilie. « Il y a une
forme de colère qui monte. Les évêques ont été un peu légers.
On attend qu’ils prennent une initiative. Face à l’ampleur des
révélations, il faut que tout sorte », résume le
directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Famille
chrétienne, Antoine-Marie Izoard. Une semaine plus tôt, il
avait fait sensation en lançant, sur KTO : « Il nous
faut maintenant faire le ménage. Je dis aux évêques : prenez
vos responsabilités. Celui qui a couvert un jour un cas, c’est
fini, il démissionne. »
En France, des cas d’abus continuent de faire
régulièrement surface, parfois très anciens, parfois récents. Ce
goutte-à-goutte a un effet délétère. Il donne à penser que
l’Eglise n’a rien entrepris contre les fautifs et que les
mécanismes de prévention ou d’alerte qu’elle dit avoir mis en
place ne sont pas efficaces. L’institution ecclésiale, elle, a le
sentiment d’être injustement la seule cible des critiques. De
nombreux prêtres sont accablés, les fidèles perdus. Ne serait-il
pas temps, pour l’institution catholique en France, de s’engager
elle aussi dans une opération vérité sur ce qui s’est passé au
cours des dernières décennies ?
La prise de conscience progresse
C’est l’avis d’Eric de Moulins-Beaufort,
récemment nommé archevêque de Reims par le pape François.
« J’aspire à ce qu’un jour nous puissions faire un
vrai rapport complet, en se faisant aider pour cela par des
personnes extérieures, pour avoir une vision plus scientifique. Il
faudrait faire une sorte d’étude épidémiologique. Pour ce qui
est de la hiérarchie, cela permettrait de voir ce qui a été fait
ou n’a pas été fait. Dans plusieurs cas, on s’est apparemment
inquiété, mais sans aller au bout de l’enquête »,
explique le président de la commission doctrinale de la Conférence
des évêques de France (CEF).
Jusqu’à sa toute récente nomination, Mgr
de Moulins-Beaufort était évêque auxiliaire de Paris. Dans le
diocèse de la capitale, après le contrecoup de l’affaire du
prêtre Bernard Preynat – mis en examen pour viols et agressions
sexuelles sur des scouts entre 1970 et 1990 –, il a eu à
s’impliquer dans ces questions, étant notamment chargé de
traiter les signalements qui parvenaient et les faits très anciens.
Il a constaté que les archives étaient « très
parcellaires », notamment pour tous les faits antérieurs
à 2000 et relatifs à des prêtres aujourd’hui morts. « Souvent,
explique-t-il, c’est la parole des victimes qui permet de
repérer quelque chose. Parfois, saisis par une victime, on regarde
dans les archives et on ne trouve rien. Soit on n’a rien su, soit
on n’a pas gardé de trace. »
L’Eglise est-elle prête à un tel examen ?
La prise de conscience de l’importance du fléau progresse dans
ses rangs. Pour la première fois, lors de leur réunion
bisannuelle, début novembre, les évêques entendront des victimes
d’abus. Mais l’expérience dans les autres pays montre qu’il
faut généralement l’intervention de l’Etat, lui-même sous la
pression de l’opinion publique, pour obtenir un état des lieux
aussi complet que possible.
En Irlande et en Australie, les différentes
commissions à qui l’on doit ce travail ont été formées à la
demande et sous le contrôle du gouvernement. Aux Etats-Unis, c’est
un procureur qui a conduit l’enquête en Pennsylvanie, comme c’est
la justice qui était intervenue après les révélations du Boston
Globe au début des années 2000.
« Mobilisation citoyenne »
Dans certains pays, c’est la détermination des
victimes qui a poussé l’Etat à agir. Faute d’avoir été
entendues à l’intérieur de l’Eglise, elles ont mobilisé
l’opinion en témoignant à visage découvert dans les médias
– non sans le payer cher sur le plan personnel –, mettant la
justice en mouvement. C’est ainsi que les victimes du prêtre
Fernando Karadima ont procédé au Chili.
C’est aussi cette voie qu’ont empruntée les
fondateurs de l’association La Parole libérée, en France, en
décembre 2015, lorsqu’ils ont eu le sentiment de ne pas
obtenir de réponses satisfaisantes du diocèse de Lyon. « J’étais
convaincu que rien ne bougerait sans une mobilisation citoyenne,
témoigne aujourd’hui son président, François Devaux. A
chaque fois qu’il y a eu des scandales, c’est l’intervention
d’une autorité publique qui a été décisive. Nous avons demandé
des réponses à l’Eglise, mais en vain. Un enquêteur désigné
par l’Etat, c’est le seul moyen de faire en sorte qu’ils
répondent. » Dans cette optique, il a sollicité cette
année des parlementaires afin qu’ils s’emparent de la question,
par exemple en formant une commission d’enquête. Sans résultat
concret pour l’instant.
Aujourd’hui, les animateurs de La Parole
libérée envisagent d’étendre leur action au-delà de son
objectif initial, lié à l’affaire Preynat. « On se
rend compte que les violences sexuelles sur les enfants sont un
problème majeur de notre société, avec d’énormes conséquences
en termes de santé publique. Or, sur ce sujet, il n’y a aucune
donnée fiable, aucune étude d’ensemble sérieuse, fait
valoir François Devaux. Toutes les institutions – police,
justice, santé – sont perdues. Dans ces conditions, comment
mettre en place des politiques publiques ? Cet état
des lieux, il doit être fait non seulement dans l’Eglise, mais
aussi dans l’ensemble de la société. Et cela, seul l’Etat a
les moyens de le faire. Ensuite, quand on saura vraiment de quoi on
parle, on pourra agir. Aujourd’hui, tout le monde est dans le
déni. »
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