COMMENTAIRE DE SAINT AUGUSTIN
SUR L'ÉVANGILE DE JEAN
La plénitude de l'amour dont
nous devons nous chérir mutuellement, frères très chers, le
Seigneur l'a définie lorsqu'il a dit : Il n'y a pas de plus
grand amour que de donner sa vie pour ses amis. ~ Il en découle
ce que le même évangéliste saint Jean dit dans sa lettre : De
même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même devons-nous
donner notre vie pour nos frères. Oui, nous devons nous
aimer mutuellement comme il nous a aimés, lui qui a donné sa vie
pour nous.
C'est bien ce qu'on lit dans les Proverbes de
Salomon : Si tu t'assieds à la table d'un grand, regarde bien
les mets qui te sont servis, et prépare-toi à l'action, car tu sais
que tu dois lui en offrir autant. Quelle est cette table d'un
grand, sinon celle où l'on consomme le corps et le sang de celui qui
a donné sa vie pour nous ? Qu'est-ce que s'y asseoir, sinon y
prendre place humblement ? Qu'est-ce que bien regarder les mets
qui te sont servis, sinon prendre conscience d'une si grande
grâce ? Qu'est-ce que te préparer à l'action parce que tu dois
lui en offrir autant, sinon ce que j'ai déjà dit : que nous
devons donner notre vie pour nos frères comme le Christ a donné sa
vie pour nous ? Comme le dit en effet l'Apôtre Pierre : Le
Christ a souffert pour nous et nous a laissé son exemple afin que
nous suivions ses traces : c'est cela, lui en offrir autant.
C'est ce que les martyrs ont fait avec un ardent amour. Si nos
célébrations sur leurs tombeaux ont un sens, si nous prenons place
à la table du Seigneur, pour le banquet où ils se sont eux-mêmes
rassasiés, il faut que, comme eux, nous sachions en offrir
autant.
C'est pourquoi nous faisons mémoire des
martyrs, en prenant place à cette table, non pas afin de prier pour
eux, comme pour les autres défunts qui reposent dans la paix : c'est
bien plutôt afin qu'ils prient pour nous, et que nous suivions leurs
traces. Car ils ont accompli cet amour dont le Seigneur a dit qu'il
ne peut en être de plus grand. Ils ont offert à leurs frères cela
même qu'ils ont reçu à la table du Seigneur.
Ceci ne
signifie pas que nous puissions égaler le Christ Seigneur, si nous
témoignons pour lui jusqu'à verser notre sang. Il avait le pouvoir
de donner sa vie et de la reprendre ; mais nous, nous ne vivons pas
autant que nous voulons, et nous mourons même si nous ne le voulons
pas. Lorsqu'il est mort, il a aussitôt anéanti la mort, et nous,
nous sommes délivrés de la mort dans sa mort. Sa chair n'a pas
connu la corruption ; notre chair, après la corruption, à la fin du
monde, sera revêtue par lui d'incorruptibilité. Lui n'avait pas
besoin de nous sauver, tandis que sans lui nous ne pouvons rien
faire : il s'est montré comme la vigne dont nous sommes les
sarments et nous ne pouvons avoir la vie en dehors de lui.
Enfin,
si des frères meurent pour leurs frères, néanmoins le sang d'aucun
martyr n'est versé pour le pardon des péchés commis par ses
frères, ce que le Seigneur a fait pour nous. En cela, il ne nous a
pas chargés de l'imiter, mais de lui rendre grâce. Lorsque les
martyrs ont versé leur sang pour leurs frères, ils en ont donc
offert autant que ce qu'ils avaient reçu à la table du
Seigneur. ~ Aimons-nous donc les uns les autres, ainsi que le
Christ nous a aimés et s'est livré pour nous.
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