Résurrection
de la chair & Vie éternelle
Ce
n’est pas, à l’origine, en chacun de nous, une foi,
l’entendement d’un dogme ou d’une assurance, ce n’est pas une
récitation. Je crois en la résurrection de la chair (c’est-à-dire
en la résurrection des morts, de tout mort, de moi et de qui j’aime,
de qui j’ai aimé), ma chair, ce corps que je ne vois et ne ressens
que par parties, que par moments, selon des images, une chair qui
s’abîme, un corps qui s’affaiblit, qui n’obéit plus, qui me
met en danger, je glisse et trébuche alors qu’autrefois c’était
mon outil, ma résistance à la fatigue, mon moyen de séduction. La
résurrection de ce que je définis mal, qui n’est pas la totalité
de moi, cette chair qui mourra, se décomposera, que j’ai vu dure,
glaciale, étonnamment froide sous mes lèvres qui l’avait connue
reconnaissante de mes baisers quand j’en donnais à ma mère, à
mon père, à des amis, à des vivantes et à des vivants, cette
résurrection, je n’y crois pas : j’en suis certain, ce
m’est naturel, je n’existerai pas, les autres, en chair et en os,
n’existeraient pas s’ils n’étaient pas, bien plus certainement
que nous mourrons, promis, voués à la résurrection.
C’est
en vieillissant, en continuant la vie qui m’est donnée en corps et
en esprit, en intelligence, en expression de ce que m’inspirent le
fait d’exister et de respirer beauté et pourriture, que la mort
m’est apparue comme proche, fraternelle. Question d’âge,
question d’expérience, des moments où l’autre – par
excellence – rassemblant tout de moi dans le regard que j’ai sur
eux, sans aucune pensée que de les regarder, d’être avec eux qui
meurent, réaliser qu’ils vivent encore, quelques minutes encore,
je ne sais pas, je ne sais plus, le temps, le souffle, la chaleur des
mains, le regard soudain car il sort du coma des deux derniers jours,
ma belle-mère vénérable dont ma femme et moi, assis à ses pieds,
nous nous partageons à égalité ses mains. Je vis, j’ai vécu que
la mort est une séparation sans graduation. Il n’y a pas de durée.
Elle ne pose aucune question, elle impose le mystère. Rien n’est
fini et l’on comprend de l’autre tout ce qu’il a vécu,
c’est-à-dire tout ce qu’il a visité, tout ce par quoi il a été
traversé, ému. La résurrection de la chair, la vie éternelle pas
plus que l’âge qui m’est biologiquement et chronologiquement
imposé ne me font pas réfléchir, ni respirer. C’est la réalité,
je n’y suis pas extérieur, elle ne me déforme pas. C’est une
seule réalité, la durée d’une forme d’existence, l’existence
libre et consciente, l’existence vulnérable et émotive. Ce n’est
pas affaire que cela continue, autrement, sans que cela se sente ou
se voit, se vive par avance. Cela continuera, cela a sa racine,
maintenant en moi, en nous. C’est la vie, et la vie ne meurt pas.
Nous mourons à ce que nous étions, mais pas à ce que nous sommes.
Nous le sentons, je le sens tellement. Je n’ai pas besoin que cela
me soit dit, même par Dieu. Il m’a créé ainsi, j’ai été
enfanté ainsi, j’ai reçu la grâce insigne d’une fille de mon
sang, et ce n’est pas un gage de mort que mon sang mais de
perpétuité, pas seulement par lignage et descendance mais dans la
personne de notre fille. C’est ainsi.
Ma
chair restaurée, sans question des apparences que nous imposent
l’âge, les maladies, les souffrances d’âme et de corps, est
glorieuse, elle est plus belle, magnifique, totale, apte à tous les
touchers que je ne peux, que nous ne pouvons l’imaginer. Elle n’est
plus ma dépendance des autres et de tant de paramètres physiques et
psychologiques. Elle est ce qu’elle devait être. Je ne peux que
l’admirer, que la respecter dans la promesse qu’aujourd’hui,
telle qu’elle est, tel que je suis, elle me fait de ce qui est bien
plus que l’avenir, de ce qu’est l’éternité, inimaginable et
pourtant à notre portée, parce que je ressens en moi l’éternité,
l’éternité se manifeste en moi et quand la rencontre avec autrui,
humain aimé et regardé, végétaux, animaux, toute beauté, toute
offrande – car la réalité est offrande à qui la voit, la
rencontre, la cotoie, l’admet – est durablement vécue, parce que
j’ai su m’arrêter, interrompre le temps, alors l’éternité
est là. Je n’ai plus qu’à y demeurer, à la rejoindre.
Je
crois – au sens de penser, de concevoir, pas au sens de la foi qui
est adhésion (combien l’Islam a raison dans cette acception à
vivre de la foi) – je crois que ce souhait inspiré par la réalité
que je ne sais saisir ni définir, mais qui est, est celui de tous
les vivants, de tout le vivant. Même si chacun l’exprime
différemment, ou en refuse l’expression par désespoir, par
impuissance et selon des événements, des limites, des rencontres,
des circonstances qui lui sont propres.
La
foi que j’ai reçue de naissance, le goût de Dieu, le bonheur et
l’appétit de ressentir Sa visite, n’a jamais été, à quelque
âge que ce soit de mon existence jusqu’à présent, fonction de ce
souhait. Ma foi en Dieu, dans le Fils de l’homme, ce Maître
souverain qui échappe à longueur de ce que nous appelons Son
ministère public, à tous ceux qui le traquent, collectionnent
complots, conciliabules, projets et pierre pour le basculer du haut
de l’escarpement où est bâtie la ville de Son enfance, cette foi
– dont je sais à chaque seconde qu’elle m’est donnée, qu’elle
n’est pas de moi, que je n’y peux rien qu’en remercier Celui
qui me la donne et surtout la maintient à moi, de plus en plus
vaste, forte, sereine, tranquille – cette foi est originellement
indépendante de tout souhait. Je cherche Dieu pour Lui-même, sans
aucune perspective de récompense, de rétribution, d’éternité.
Peut-être – l’écrivant à présent – c’est cette foi
« désintéressée », sans objet que Celui qu’elle
cherche et dont elle sent qu’elle pourrait se donner davantage,
toujours davantage , encore davantage à Lui, sans considération de
rien d’autre, est-elle déjà la visite de l’éternité, son
assurance.
Voici
que ma foi me fait entrer dans la recherche et à la suite de Qui –
seul, intrinsèquement seul – m’apprend et me montre Dieu. Là
aussi, je suis dans cette recherche, à chaque âge et lieu de mon
existence, sa,s autre appétit que de mieux voir et entendre. Les
Evangiles, le Cantique des cantiques, le Canon de la messe, le
sacrement de la réconciliation et son absolution m’apprennent. La
vie est dans ce que je lis, dans ce que j’entends, dans ce que je
prie, dans ce que je constate comme l’affirmation du Christ aux
siens, des Apôtres au commencement de l’Église, et de celle-ci à
travers siècles, continents et civilisations, vraiment l’obsession.
Ce n’est plus une donnée que je constatais en moi, naturelle,
c’est une Histoire, l’Histoire et le déroulement fantastique et
proposé pourtant à notre intimité, d’une dialectique. Oui,
qu’est-ce que la vie ? sinon la vie éternelle ?
qu’est-ce que la vie sans la chair, la vie sans l’éternité ?
Sans doute les anges, sans doute les « êtres spirituels »,
sans doute Dieu-même qui est esprit, ne sont-ils pas de chair. Mais
la réflexion, la foi-même s’appliqueraient mal à cet
inconcevable, à cette réalité-là au point que nous en sommes
dispensés puisque Dieu s’est fait homme. Le respect de la chair,
l’amour de la chair, l’admiration de l’instrument de communion
et de perception qu’est la chair, notre chair, ma chair et ses
bonheurs, sa pauvreté, son obsolescence nous viennent autant de
l’incarnation du Fils de Dieu fait homme : le Christ Se
donnant pour appellation celle de Fils de l’homme, que de
l’anticipation de l’éternité dès la résurrection de la chair
ou par la résrrection de la chair.
L’enseignement
de Jésus, le Christ, aux foules et aux Siens est la révélation du
Père et de l’amour de Celui-ci pour la création, pour tout le
vivant, et la logique de cet amour, notre proximité envers Lui, Son
accueil de notre péché et Sa demande de notre liberté. L’exercice
de notre liberté, c’est-à-dire notre véritable identité, ce que
nous faisons de nous-mêmes selon ce que Dieu nous a donné, nous
donne, nous inspire, nous propose est attendu pour la vie éternelle.
Jésus
donne les moyens de l’éternité, c’est-à-dire de notre
proximité de Dieu : les sacrements, dès ce moment-ci de notre
existence, et Il nous démontre la résurrection des morts, la
résurrection de la chair, en commençant par Lui-même. Je ne suis
pas au point avec moi-même et avec que je lis ou entends sur la
Résurrection du Seigneur, à la suite d’une mort horrible et de
trois ans de chasse à l’homme. Ressuscité du seul fait de Sa
nature divine ? Ressuscité dans Sa nature humaine par Son
Père ? Ressuscité certainement. Les narrations concordent, et
elles déplacent le mystère en rendant celui-ci transparent. Jésus,
sauf au moment de la Transfiguration aux yeux de trois de Ses
disciples, les mêmes qu’Il espérera Ses compagnons au moment –
inverse – de Son agonie à Gerhsémani : moments de divinité
absolue et pourtant rendue perceptible aux hommes, moments d’humanité
extrême et que les hommes ne sauront qu’après coups et selon Lui…
Jésus avant Sa mort et jusques dans Sa mort n’est pas reçu, vécu,
compris par Ses disciples comme Dieu. Il est assurément perçu comme
homme, même et surtout s’Il est extraordinaire d’enseignements
et de miracles. Après la Résurrection, Il n’est plus reconnu par
les Siens que selon les sens de l’âme, d’abord, pour qu’ensuite
les sens de la chair opèrent la vérification, et surtout le
rapprochement avec ce que le Fils de l’homme donnait aux Siens à
vivre de Lui-même : la fraction du pain, la pêche miraculeuse
et aussi le côté, les mains et les pieds transpercés. Secondaire
mais naturel et logique, l’existence humaine du Ressuscité est
émancipée de toutes les dimensions existentielles de la chair, mais
c’est la chair quand même, cependant, et aussi triviale, banale
qu’avant : Jésus mange devant les siens. Il a une voix, un
corps, Sa voix, Son corps, mais nos yeux ne l’entendent ni ne le
voient comme avant. La Résurrection impose aux disciples l’obscurité
et la lumière ensemble de la foi. Une chair qui n’a plus aucune
limite qui lui résiste.
L’Ancien
Testament énonce cette conviction personnelle du croyant et de tout
homme qu’il ressuscitera de chair : Job, et que cela le lot
commun, l’universalité du vivant malgré la mort, et la d’une
évolution biologique, naturellement ou accidentellement : la
vallée aux ossements montrée à Ezéchiel.
Le
Nouveau Testament décrit le sacrement par excellence que sont la
mort et la Résurrection du Seigneur. Nous vivons celles-ci et nous
en recevons le sacrement, en mangeant et en buvant… sur ordre. Le
refuser est une sécession dans le groupe et dans les foules suivant
le Christ. La vie éternelle est communion universelle parce qu’elle
est résurrection et aboutissement de la chair, c’est-à-dire de
nos corps, de nos sensibilités, de notre histoire, de ce que nous
avons fait de nous, de ce qui a été fait de nous pendant la
première phase de notre existence, la phase des limites, de la
mortalité, du péché. L’éternité est la phase de Dieu, celle de
Sa miséricorde.
Avec
une souveraineté proche de l’imprécation par son ton, le Christ
dit la vie éternelle. Peu nous importe le jugement et les tris entre
boucs et brebis. La vie éternelle, parce que c’est la vie, la
Vraie vie comme le Christ le précise et répète, est une abolition
de tout ce qui était manqué ou insuffisant selon notre forme
initiale d’existence : inachevée et empêchée. L’absolution
sera générale comme infinie est la Miséricorde divine. Puis Il dit
– Lui, le Fils de l’homme – j’ai pitié de cette foule. Je
suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en
abondance.
Marc conclut son évangile : allez
dire à toute la création !
Il
me semble alors que ces deux sentences finales dans l’affirmation
millénaire de notre foi, en tant qu’énoncé, pourraient être
liminaires. Je crois en la résurrection de la chair, la résurrection
des morts, et en la vie éternelle, celle des siècles à venir, et
alors – créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, (donc…)
homme et femme, appelé à la vie éternelle, ma chair, la multitude
variée de tous les corps, des vivants, du vivant imprégnés de
Dieu, divinisés désormais, accueilli par Dieu – je crois en Dieu,
le Père tout puissant… Sans être nativement certain de ma
rédemption, de la Rédemption, comment pourrais-je croire qui que ce
soit, quoi que ce soit ? Et c’est parce que je suis certain de
cet aboutissement absolu et par grâce, la grâce que j’éprouve,
que je reçois quotidiennement, gardant, magnifiant, appelant à
l’éternité ma poussière… que je puis croire à Son Fils Jésus
Christ le Seigneur… à l’Esprit, Saint, Seigneur vivifiant. Foi
native, espérance naturelle, sceau divin du Premier-Né parce que
premier et seul Ressuscité d’entre les morts.
Leurs yeux étaient obscurcis… il ne savait plus ce qu’il disait…
heureux ceux qui… car ils verront Dieu… et Le voyant, ils
deviendront semblables à Lui. Et expecto resurrectionem mortuorum et
vitam venturi saeculi.
Croire ? Non ! Attendre.
à
relire et « parfaire »
pour
Michèle T.
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