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lundi 5 août 2019
la vocation à être saints - audience générale du pape François . 19 novembre 2014
PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE
GÉNÉRALE
Place
Saint-Pierre
Mercredi 19 novembre 2014
Mercredi 19 novembre 2014
Chers frères et sœurs, bonjour.
Un grand don du Concile
Vatican ii
est d’avoir retrouvé une vision d’Église fondée sur la
communion, et d’avoir inclus également le principe de l’autorité
et de la hiérarchie dans cette perspective. Cela nous a aidés à
mieux comprendre que tous les chrétiens, en tant que baptisés, ont
une dignité égale devant le Seigneur et qu’ils sont liés par la
même vocation, qui est celle à la sainteté (cf. Const. Lumen
gentium, 39-42).
À présent, nous nous demandons : en quoi consiste cette vocation
universelle à être saints ? Et comment pouvons-nous la réaliser ?
Avant tout, nous devons avoir
bien à l’esprit que la sainteté n’est pas quelque chose que
nous nous procurons, que nous obtenons par nos qualités et nos
capacités. La sainteté est un don, c’est le don que nous fait le
Seigneur Jésus, lorsqu’il nous prend avec lui et qu’il nous
revêt de lui-même, il nous rend comme lui. Dans la Lettre aux
Éphésiens, l’apôtre Paul affirme que « le Christ a aimé
l’Église et s’est donné lui-même pour elle, pour la rendre
sainte » (Ep
5, 25-26). Voilà, la sainteté est véritablement le visage le plus
beau de l’Église, le visage le plus beau: c’est se redécouvrir
en communion avec Dieu, dans la plénitude de sa vie et de son amour.
On comprend alors que la sainteté n’est pas une prérogative
uniquement de certains: la sainteté est un don qui est offert à
tous, sans exclure personne, et qui constitue ainsi le caractère
distinctif de chaque chrétien.
Tout cela nous fait comprendre que pour être
saints, il ne faut pas nécessairement être évêques, prêtres ou
religieux: non, nous sommes tous appelés à devenir saints ! Tant de
fois également, nous sommes tentés de penser que la sainteté est
réservée uniquement à ceux qui ont la possibilité de se détacher
des affaires ordinaires, pour se consacrer exclusivement à la
prière. Mais il n’en est pas ainsi ! Certains pensent que la
sainteté signifie fermer les yeux et prendre l’expression des
images pieuses. Non ! Cela n’est pas la sainteté ! La sainteté
est quelque chose de plus grand, de plus profond, que nous donne
Dieu. Au contraire, c’est en vivant avec amour et en offrant son
témoignage chrétien dans les tâches quotidiennes que nous sommes
appelés à devenir saints. Et chacun dans les conditions et dans
l’état de vie dans lequel il se trouve. Mais toi tu es consacré,
tu es consacrée ? Sois saint en vivant avec joie ton don et ton
ministère. Tu es marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de
ton mari, de ta femme, comme le Christ l’a fait avec l’Église.
Tu est baptisé et pas marié ? Sois saint en accomplissant avec
honnêteté et compétence ton travail et en offrant du temps au
service de tes frères. « Mais père, je travaille dans une usine ;
je suis comptable, toujours entouré de chiffres, là, on ne peut pas
être saint... ». « Oui, oui, là on peut ! Là où tu travailles,
tu peux devenir saint. Dieu te donne la grâce de devenir saint. Dieu
se communique à toi ». On peut devenir saint toujours en tout lieu,
c’est-à-dire que l’on peut s’ouvrir à cette grâce qui œuvre
en nous et nous conduit à la sainteté. Tu es parent ou grand-parent
? Sois saint en enseignant avec passion aux enfants ou aux
petits-enfants à reconnaître et à suivre Jésus. Et il faut
beaucoup de patience pour cela, pour être un bon parent, un bon
grand-père, une bonne mère, une bonne grand-mère, il faut beaucoup
de patience et dans cette patience, vient la sainteté : en exerçant
la patience. Tu es catéchiste, éducateur ou volontaire ? Sois saint
en devenant un signe visible de l’amour de Dieu et de sa présence
à nos côtés. Voilà : chaque état de vie conduit à la sainteté,
toujours ! Chez toi, dans la rue, au travail, dans l’Église, à ce
moment et dans ton état de vie a été ouverte la voie vers la
sainteté. Ne vous découragez pas et allez sur cette voie. C’est
vraiment Dieu qui nous donne la grâce. Le Seigneur ne demande que
cela : que nous soyons en communion avec Lui et au service de nos
frères.
Dès lors, chacun de nous peut faire un petit
examen de conscience ; à présent, nous pouvons le faire, que chacun
réponde à soi-même, en silence : comment avons-nous répondu
jusqu’à présent à l’appel du Seigneur à la sainteté ? Ai-je
envie de devenir un peu meilleur, d’être plus chrétien, plus
chrétienne ? Telle est a voie de la sainteté. Lorsque le Seigneur
nous invite à devenir saints, il ne nous appelle pas à quelque
chose de lourd, de triste... Au contraire ! C’est l’invitation à
partager sa joie, à vivre et à offrir avec joie chaque moment de
notre vie, en le faisant devenir dans le même temps un don d’amour
pour les personnes qui sont à nos côtés. Si nous comprenons cela,
tout change et acquiert un sens nouveau, un beau sens, un sens qui
commence avec les petites choses de chaque jour. Un exemple. Une dame
va au marché faire les courses et rencontre une voisine et elles
commencent à parler, puis arrivent les commérages et cette dame dit
: « Non, non, moi, je ne parlerai mal de personne ». Cela est un
pas vers la sainteté, cela nous aide à devenir plus saint. Puis, à
la maison, ton enfant te demande de parler un peu de ses histoires :
« Oh non, je suis si fatigué, j’ai beaucoup travaillé
aujourd’hui... » — « Mais toi, installe-toi et écoute ton
enfant, qui en a besoin ! ». Et on s’installe, on écoute avec
patience: cela est un pas vers la sainteté. Puis finit la journée,
nous sommes tous fatigués, mais il y a la prière. Faisons la prière
: cela aussi est un pas vers la sainteté. Puis arrive le dimanche et
nous allons à la Messe, nous faisons la communion, parfois précédée
d’une belle confession qui nous purifie un peu. Cela est un pas
vers la sainteté. Puis, nous pensons à la Vierge, si bonne, si
belle, et nous prenons le chapelet et nous la prions. Cela est un pas
vers la sainteté. Puis je vais dans la rue, je vois un pauvre,
quelqu’un dans le besoin, je m’arrête, je l’interroge, je lui
donne quelque chose : cela est un pas vers la sainteté. Ce sont de
petites choses, mais tant de petits pas vers la sainteté. Chaque pas
vers la sainteté fera de nous des personnes meilleures, libérées
de l’égoïsme et de la fermeture sur soi, et ouvertes aux frères
et à leurs nécessités.
Chers amis, dans la première Lettre de saint
Pierre nous est adressée cette exhortation : « Chacun selon la
grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de
bons intendants d'une multiple grâce de Dieu. Si quelqu’un parle,
que ce soit comme les paroles de Dieu ; si quelqu’un assure le
service, que ce soit comme par un mandat reçu de Dieu, afin qu’en
tout Dieu soit glorifié par Jésus Christ » (4, 10-11). Voici
l’invitation à la sainteté ! Accueillons-la avec joie, et
soutenons-nous les uns les autres, afin que le chemin vers la
sainteté ne se parcoure pas seul, chacun pour soi, mais se parcoure
ensemble, dans l’unique corps qui est l’Église, bien-aimée et
rendue sainte par le Seigneur Jésus Christ. Allons de l’avant avec
courage, sur ce chemin de la sainteté.
Vendredi 21 novembre, mémoire liturgique de la
Présentation de la Très Sainte Vierge Marie au Temple, nous
célébrerons la Journée pro Orantibus, consacrée aux
communautés religieuses de clôture. C’est une occasion opportune
pour rendre grâce au Seigneur pour le don de tant de personnes qui,
dans les monastères et les ermitages, se consacrent à Dieu dans la
prière et dans le silence fécond, reconnaissant en lui le primat
qui revient à Lui seul. Rendons grâce au Seigneur pour les
témoignages de vie de clôture et apportons-leur notre soutien
spirituel et matériel, pour accomplir cette mission importante.
Je salue bien cordialement les pèlerins de langue
française, en particulier les personnes venant de France et du
Cameroun.
J’invite chacun d’entre vous à s’interroger
sur la manière dont il a déjà répondu à l’appel du Seigneur à
la sainteté. Accueillons-le avec joie et soutenons-nous les uns les
autres sur ce chemin.
Bon pèlerinage !
APPEL
Je suis avec préoccupation la montée alarmante
de la tension à Jérusalem et dans d’autres zones de la Terre
Sainte, avec des épisodes inacceptables de violence qui n’épargnent
pas même les lieux de culte. J’assure une prière particulière
pour toutes les victimes de cette situation dramatique et pour ceux
qui souffrent de ses conséquences. Du plus profond de mon cœur,
j’adresse aux parties impliquées un appel afin de mettre un terme
à la spirale de haine et de violence et que l’on prenne des
décisions courageuses pour la réconciliation et la paix. Construire
la paix est difficile, mais vivre sans paix est un supplice !
© Copyright
- Libreria Editrice Vaticana
l'appel à la sainteté dans le monde actuel - pape François . 3 Mars 2018
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EXHORTATION
APOSTOLIQUE
GAUDETE
ET EXSULTATE
DU
SAINT-PÈRE
FRANÇOIS
FRANÇOIS
SUR L’APPEL
À LA SAINTETÉ
DANS LE MONDE ACTUEL
DANS LE MONDE ACTUEL
1. « Soyez dans la joie et
l’allégresse » (Mt 5, 12), dit Jésus à ceux qui sont
persécutés ou humiliés à cause de lui. Le Seigneur demande tout
; et ce qu’il offre est la vraie vie, le bonheur pour lequel nous
avons été créés. Il veut que nous soyons saints et il n’attend
pas de nous que nous nous contentions d’une existence médiocre,
édulcorée, sans consistance. En réalité, dès les premières
pages de la Bible, il y a, sous diverses formes, l’appel à la
sainteté. Voici comment le Seigneur le proposait à Abraham : «
Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1).
2. Il ne faut pas s’attendre,
ici, à un traité sur la sainteté, avec de nombreuses définitions
et distinctions qui pourraient enrichir cet important thème, ou
avec des analyses qu’on pourrait faire concernant les moyens de
sanctification. Mon humble objectif, c’est de faire résonner une
fois de plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer
dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis et ses
opportunités. En effet, le Seigneur a élu chacun d’entre nous
pour que nous soyons « saints et immaculés en sa présence, dans
l’amour » (Ep 1, 4).
Premier chapitre
L’APPEL À LA SAINTETÉ
Les saints qui nous encouragent et nous
accompagnent
3. Dans la Lettre aux Hébreux,
sont mentionnés divers témoignages qui nous encouragent à «
courir avec constance l’épreuve qui nous est proposée » (12,
1). On y parle d’Abraham, de Sara, de Moïse, de Gédéon et de
plusieurs autres (cf. 11, 1-12, 3) et surtout on nous invite à
reconnaître que nous sommes enveloppés « d’une si grande nuée
de témoins » (12, 1) qui nous encouragent à ne pas nous arrêter
en chemin, qui nous incitent à continuer de marcher vers le but. Et
parmi eux, il peut y avoir notre propre mère, une grand-mère ou
d’autres personnes proches (cf. 2 Tm 1, 5). Peut-être leur
vie n’a-t-elle pas toujours été parfaite, mais, malgré des
imperfections et des chutes, ils sont allés de l’avant et ils ont
plu au Seigneur.
4. Les saints qui sont déjà
parvenus en la présence de Dieu gardent avec nous des liens d’amour
et de communion. Le Livre de l’Apocalypse en témoigne quand il
parle des martyrs qui intercèdent : « Je vis sous l’autel les
âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le
témoignage qu'ils avaient rendu. Ils crièrent d’une voix
puissante : ‘‘Jusques à quand, Maître saint et vrai,
tarderas-tu à faire Justice ?’’ » (6, 9-10). Nous pouvons dire
que « nous nous savions entourés, conduits et guidés par les amis
de Dieu […] Je ne dois pas porter seul ce que, en réalité, je ne
pourrais jamais porter seul. La troupe des saints de Dieu me
protège, me soutient et me porte »[1].
5. Lors des procès de
béatification et de canonisation, on prend en compte les signes
d’héroïcité dans l’exercice des vertus, le don de la vie chez
le martyr et également les cas du don de sa propre vie en faveur
des autres, y compris jusqu’à la mort. Ce don exprime une
imitation exemplaire du Christ et est digne d’admiration de la
part des fidèles[2].
Souvenons-nous, par exemple, de la bienheureuse Maria Gabriela
Sagheddu qui a offert sa vie pour l’union des chrétiens.
Les saints de la porte d’à côté
6. Ne pensons pas uniquement à
ceux qui sont déjà béatifiés ou canonisés. L’Esprit Saint
répand la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu,
car « le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent
pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien
mutuel ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la
vérité et le servirait dans la sainteté »[3].
Le Seigneur, dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y
a pas d’identité pleine sans l’appartenance à un peuple. C’est
pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé,
mais Dieu nous attire en prenant en compte la trame complexe des
relations interpersonnelles qui s’établissent dans la communauté
humaine : Dieu a voulu entrer dans une dynamique populaire, dans la
dynamique d’un peuple.
7. J’aime voir la sainteté
dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec
tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui
travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades,
chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette
constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de
l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté ‘‘de
la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et
sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre
expression, ‘‘la classe moyenne de la sainteté’’[4].
8. Laissons-nous encourager par
les signes de sainteté que le Seigneur nous offre à travers les
membres les plus humbles de ce peuple qui « participe aussi de la
fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage
avant tout par une vie de foi et de charité »[5].
Pensons, comme nous le suggère sainte Thérèse Bénédicte de la
Croix, que par l’intermédiaire de beaucoup d’entre eux se
construit la vraie histoire : « Dans la nuit la plus obscure
surgissent les plus grandes figures de prophètes et de saints. Mais
le courant de la vie mystique qui façonne les âmes reste en grande
partie invisible. Certaines âmes dont aucun livre d’histoire ne
fait mention, ont une influence déterminante aux tournants décisifs
de l’histoire universelle. Ce n’est qu’au jour où tout ce qui
est caché sera manifesté que nous découvrirons aussi à quelles
âmes nous sommes redevables des tournants décisifs de notre vie
personnelle »[6].
9. La sainteté est le visage le
plus beau de l’Église. Mais même en dehors de l’Église
catholique et dans des milieux très différents, l’Esprit suscite
« des signes de sa présence, qui aident les disciples mêmes du
Christ »[7].
D’autre part, saint Jean-Paul II nous a rappelé que « le
témoignage rendu au Christ jusqu’au sang est devenu un patrimoine
commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux
protestants »[8].
Lors de la belle commémoration œcuménique qu’il a voulu
célébrer au Colisée à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, il
a affirmé que les martyrs sont un « héritage qui nous parle d’une
voix plus forte que celle des fauteurs de division »[9].
Le Seigneur appelle
10. Tout cela est important.
Cependant, ce que je voudrais rappeler par la présente Exhortation,
c’est surtout l’appel à la sainteté que le Seigneur adresse à
chacun d’entre nous, cet appel qu’il t’adresse à toi aussi :
« Vous êtes devenus saints car je suis saint » (Lv 11, 44
; cf. 1 P 1, 16). Le Concile Vatican II l’a souligné avec
force : « Pourvus de moyens salutaires d’une telle abondance et
d’une telle grandeur, tous ceux qui croient au Christ, quels que
soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu,
chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle
même du Père »[10].
11. « Chacun dans sa route »
dit le Concile. Il ne faut donc pas se décourager quand on
contemple des modèles de sainteté qui semblent inaccessibles. Il y
a des témoins qui sont utiles pour nous encourager et pour nous
motiver, mais non pour que nous les copiions, car cela pourrait même
nous éloigner de la route unique et spécifique que le Seigneur
veut pour nous. Ce qui importe, c’est que chaque croyant discerne
son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce
que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui (cf. 1 Co
12, 7) et qu’il ne s’épuise pas en cherchant à imiter quelque
chose qui n’a pas été pensé pour lui. Nous sommes tous appelés
à être des témoins, mais il y a de nombreuses formes
existentielles de témoignage[11].
De fait, quand le grand mystique saint Jean de la Croix écrivait
son Cantique spirituel, il préférait éviter des règles
fixes pour tout le monde et il expliquait que ses vers étaient
écrits pour que chacun en tire profit à sa manière[12].
En effet, la vie divine se communique aux uns « d’une manière
[et aux] autres d’une autre »[13].
12. Parmi les formes variées,
je voudrais souligner que le ‘‘génie féminin’’ se
manifeste également dans des styles féminins de sainteté,
indispensables pour refléter la sainteté de Dieu en ce monde. Même
à des époques où les femmes ont été plus marginalisées,
l’Esprit Saint a précisément suscité des saintes dont le
rayonnement a provoqué de nouveaux dynamismes spirituels et
d’importantes réformes dans l’Église. Nous pouvons mentionner
sainte Hildegarde de Bingen, sainte Brigitte, sainte Catherine de
Sienne, sainte Thérèse d’Avila ou sainte Thérèse de Lisieux.
Mais je tiens à évoquer tant de femmes inconnues ou oubliées qui,
chacune à sa manière, ont soutenu et transformé des familles et
des communautés par la puissance de leur témoignage.
13. Cela devrait enthousiasmer
chacun et l’encourager à tout donner pour progresser vers ce
projet unique et inimitable que Dieu a voulu pour lui de toute
éternité : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai
connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré »
(Jr 1, 5).
Pour toi aussi
14. Pour être saint, il n’est
pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou
religieux. Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la
sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité de
prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin
de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas
ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec
amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations
quotidiennes, là où chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un
consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu
marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de
ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un
travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec
compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père,
mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec
patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois
saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes
intérêts personnels[14].
15. Laisse la grâce de ton
baptême porter du fruit dans un cheminement de sainteté. Permets
que tout soit ouvert à Dieu et pour cela choisis-le, choisis Dieu
sans relâche. Ne te décourage pas, parce que tu as la force de
l’Esprit Saint pour que ce soit possible ; et la sainteté, au
fond, c’est le fruit de l’Esprit Saint dans ta vie (cf. Ga
5, 22-23). Quand tu sens la tentation de t’enliser dans ta
fragilité, lève les yeux vers le Crucifié et dis-lui :
‘‘Seigneur, je suis un pauvre, mais tu peux réaliser le miracle
de me rendre meilleur’’. Dans l’Église, sainte et composée
de pécheurs, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser
vers la sainteté. Le Seigneur l’a remplie de dons par sa Parole,
par les sacrements, les sanctuaires, la vie des communautés, le
témoignage de ses saints, et par une beauté multiforme qui
provient de l’amour du Seigneur, « comme la fiancée qui se pare
de ses bijoux » (Is 61, 10).
16. Cette sainteté à laquelle
le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes. Par exemple :
une dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une
voisine et commence à parler, et les critiques arrivent. Mais cette
femme se dit en elle-même : « Non, je ne dirai du mal de personne
». Voilà un pas dans la sainteté ! Ensuite, à la maison, son
enfant a besoin de parler de ses rêves, et, bien qu’elle soit
fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec
patience et affection. Voilà une autre offrande qui sanctifie !
Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se souvient
de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi.
Voilà une autre voie de sainteté ! Elle sort après dans la rue,
rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec
affection. Voilà un autre pas !
17. Parfois, la vie présente
des défis importants et à travers eux le Seigneur nous invite à
de nouvelles conversions qui permettent à sa grâce de mieux se
manifester dans notre existence « afin de nous faire participer à
sa sainteté » (He 12, 10). D’autres fois il ne s’agit
que de trouver une forme plus parfaite de vivre ce que nous vivons
déjà : « Il y a des inspirations qui tendent seulement à une
extraordinaire perfection des exercices ordinaires de la vie
chrétienne »[15].
Quand le Cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân était en
prison, il avait renoncé à s’évertuer à demander sa
libération. Son choix était de vivre « le moment présent en le
comblant d’amour » ; et voilà la manière dont cela se
concrétisait : « Je saisis les occasions qui se présentent chaque
jour, pour accomplir les actes ordinaires de façon extraordinaire
»[16].
18. Ainsi, sous l’impulsion de
la grâce divine, par de nombreux gestes, nous construisons ce
modèle de sainteté que Dieu a voulu, non pas en tant qu’êtres
autosuffisants mais « comme de bons intendants d’une multiple
grâce de Dieu » (1 P 4, 10). Comme nous l’ont bien
rappelé les Évêques de Nouvelle Zélande, l’amour
inconditionnel du Seigneur est possible parce que le Ressuscité
partage sa vie puissante avec nos vies fragiles : « Son amour n’a
pas de limites et, une fois donné, il ne recule jamais. Il a été
inconditionnel et demeure fidèle. Aimer ainsi n’est pas facile,
car souvent nous sommes vraiment faibles. Mais précisément pour
que nous nous efforcions d’aimer comme le Christ nous a aimés, le
Christ partage sa propre vie ressuscitée avec nous. Ainsi, nos vies
révèlent son pouvoir en action, y compris au milieu de la
faiblesse humaine »[17].
Ta mission dans le Christ
19. Pour un chrétien, il n’est
pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la
concevoir comme un chemin de sainteté, car « voici quelle est la
volonté de Dieu : c’est votre sanctification » (1 Th 4,
3). Chaque saint est une mission ; il est un projet du Père pour
refléter et incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un
aspect de l’Évangile.
20. Cette mission trouve son
sens plénier dans le Christ et ne se comprend qu’à partir de
lui. Au fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de sa vie en
union avec lui. Elle consiste à s’associer à la mort et à la
résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à
mourir et à ressusciter constamment avec lui. Mais cela peut
impliquer également de reproduire dans l’existence personnelle
divers aspects de la vie terrestre de Jésus : sa vie cachée, sa
vie communautaire, sa proximité avec les derniers, sa pauvreté et
d’autres manifestations du don de lui-même par amour. La
contemplation de ces mystères, comme le proposait saint Ignace de
Loyola, nous amène à les faire chair dans nos choix et dans nos
attitudes[18].
Car « tout dans la vie de Jésus est signe de son mystère »,[19]
« toute la vie du Christ est Révélation du Père »[20],
« toute la vie du Christ est mystère de Rédemption »[21],
« toute la vie du Christ est mystère de Récapitulation »[22],
et « tout ce que le Christ a vécu, il fait que nous puissions le
vivre en lui et qu’il le vive en nous »[23].
21. Le dessein du Père, c’est
le Christ, et nous en lui. En dernière analyse, c’est le Christ
aimant en nous, car « la sainteté n’est rien d’autre que la
charité pleinement vécue »[24].
C’est pourquoi, « la mesure de la sainteté est donnée par la
stature que le Christ atteint en nous, par la mesure dans laquelle,
avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur
la sienne »[25].
Ainsi, chaque saint est un message que l’Esprit Saint puise dans
la richesse de Jésus-Christ et offre à son peuple.
22. Pour reconnaître quelle est
cette parole que le Seigneur veut dire à travers un saint, il ne
faut pas s’arrêter aux détails, car là aussi il peut y avoir
des erreurs et des chutes. Tout ce que dit un saint n’est pas
forcément fidèle à l’Évangile, tout ce qu’il fait n’est
pas nécessairement authentique et parfait. Ce qu’il faut
considérer, c’est l’ensemble de sa vie, tout son cheminement de
sanctification, cette figure qui reflète quelque chose de
Jésus-Christ et qui se révèle quand on parvient à percevoir le
sens de la totalité de sa personne[26].
23. Pour nous tous, c’est un
rappel fort. Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta
vie comme une mission. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la
prière et en reconnaissant les signes qu’il te donne. Demande
toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment
de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour
discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et
permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète
Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui.
24. Puisses-tu reconnaître
quelle est cette parole, ce message de Jésus que Dieu veut délivrer
au monde par ta vie ! Laisse-toi transformer, laisse-toi renouveler
par l’Esprit pour que cela soit possible, et qu’ainsi ta belle
mission ne soit pas compromise. Le Seigneur l’accomplira même au
milieu de tes erreurs et de tes mauvaises passes, pourvu que tu
n’abandonnes pas le chemin de l’amour et que tu sois toujours
ouvert à son action surnaturelle qui purifie et illumine.
L’activité qui sanctifie
25. Comme tu ne peux pas
comprendre le Christ sans le Royaume qu’il est venu apporter, ta
propre mission est inséparable de la construction de ce Royaume : «
Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera
donné par surcroît » (Mt 6, 33). Ton identification avec
le Christ et avec ses désirs implique l’engagement à construire,
avec lui, ce Royaume d’amour, de justice et de paix pour tout le
monde. Le Christ lui-même veut le vivre avec toi, dans tous les
efforts ou les renoncements que cela implique, et également dans
les joies et dans la fécondité qu’il peut t’offrir. Par
conséquent, tu ne te sanctifieras pas sans te donner corps et âme
pour offrir le meilleur de toi-même dans cet engagement.
26. Il n’est pas sain d’aimer
le silence et de fuir la rencontre avec l’autre, de souhaiter le
repos et d’éviter l’activité, de chercher la prière et de
mépriser le service. Tout peut être accepté et être intégré
comme faisant partie de l’existence personnelle dans ce monde, et
être incorporé au cheminement de sanctification. Nous sommes
appelés à vivre la contemplation également au sein de l’action,
et nous nous sanctifions dans l’exercice responsable et généreux
de notre propre mission.
27. L’Esprit Saint peut-il
nous inciter à accomplir une mission et en même temps nous
demander de la fuir, ou d’éviter de nous engager totalement pour
préserver la paix intérieure ? Cependant, nous sommes parfois
tentés de reléguer au second plan le dévouement pastoral ou
l’engagement dans le monde, comme si c’étaient des
‘‘distractions’’ sur le chemin de la sanctification et de la
paix intérieure. On oublie que « la vie n’a pas une mission,
mais qu’elle est mission »[27].
28. Une tâche accomplie sous
l’impulsion de l’anxiété, de l’orgueil, du besoin de
paraître et de dominer, ne sera sûrement pas sanctifiante. Le
défi, c’est de vivre son propre engagement de façon à ce que
les efforts aient un sens évangélique et nous identifient toujours
davantage avec Jésus-Christ. C’est pourquoi on a coutume de
parler, par exemple, d’une spiritualité du catéchiste, d’une
spiritualité du clergé diocésain, d’une spiritualité du
travail. C’est pour la même raison que, dans Evangelii
gaudium, j’ai voulu conclure par une
spiritualité de la mission, dans Laudato
si’, par une spiritualité écologique
et, dans Amoris
laetitia, par une spiritualité de la vie
familiale.
29. Cela n’implique pas de
déprécier les moments de quiétude, de solitude et de silence
devant Dieu. Bien au contraire ! Car les nouveautés constantes des
moyens technologiques, l’attraction des voyages, les innombrables
offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres
où la voix de Dieu puisse résonner. Tout se remplit de paroles, de
jouissances épidermiques et de bruit à une vitesse toujours
croissante. Il n’y règne pas la joie mais plutôt
l’insatisfaction de celui qui ne sait pas pourquoi il vit. Comment
donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette
course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois
douloureux mais toujours fécond, où s’établit le dialogue
sincère avec Dieu ? À un certain moment, nous devrons regarder en
face notre propre vérité, pour la laisser envahir par le Seigneur,
et on n’y parvient pas toujours si « on ne se sent pas au bord de
l’abîme de la tentation la plus étouffante, si on ne sent pas le
vertige du précipice de l’abandon le plus désespéré, si on ne
se trouve pas absolument seul, au faîte de la solitude la plus
radicale »[28].
C’est ainsi que nous trouvons les grandes motivations qui nous
incitent à vivre à fond les devoirs personnels.
30. Les mêmes moyens de
distraction qui envahissent la vie actuelle nous conduisent aussi à
absolutiser le temps libre au cours duquel nous pouvons utiliser
sans limites ces dispositifs qui nous offrent du divertissement ou
des plaisirs éphémères[29].
Par voie de conséquence, c’est la mission elle-même qui s’en
ressent, c’est l’engagement qui s’affaiblit, c’est le
service généreux et disponible qui commence à en pâtir. Cela
dénature l’expérience spirituelle. Une ferveur spirituelle
peut-elle cohabiter avec une lassitude dans l’œuvre
d’évangélisation ou dans le service des autres ?
31. Il nous faut un esprit de
sainteté qui imprègne aussi bien la solitude que le service, aussi
bien l’intimité que l’œuvre d’évangélisation, en sorte que
chaque instant soit l’expression d’un amour dévoué sous le
regard du Seigneur. Ainsi, tous les moments seront des marches sur
notre chemin de sanctification.
Plus vivants, plus frères
32. N’aie pas peur de la
sainteté. Elle ne t’enlèvera pas les forces, ni la vie ni la
joie. C’est tout le contraire, car tu arriveras à être ce que le
Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton
propre être. Dépendre de lui nous libère des esclavages et nous
conduit à reconnaître notre propre dignité. Cela se reflète en
sainte Joséphine Bakhita qui « enlevée et vendue en esclavage à
l’âge de 7 ans, […] endura de nombreuses souffrances entre les
mains de maîtres cruels. Mais elle comprit que la vérité profonde
est que Dieu, et non pas l’homme, est le véritable Maître de
chaque être humain, de toute vie humaine. L’expérience devint
une source de profonde sagesse pour cette humble fille d'Afrique
»[30].
33. Dans la mesure où il se
sanctifie, chaque chrétien devient plus fécond pour le monde. Les
évêques de l’Afrique occidentale nous ont enseigné : « Nous
sommes appelés dans l’esprit de la Nouvelle Évangélisation à
nous laisser évangéliser et à évangéliser à travers les
responsabilités confiées à tous les baptisés. Nous devons jouer
notre rôle en tant que sel de la terre et lumière du monde où que
nous nous trouvions »[31].
34. N’aie pas peur de viser
plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas
peur de te laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te
rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec
la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie
« il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des
saints »[32].
Deuxième chapitre
DEUX ENNEMIS SUBTILS DE LA
SAINTETE
35. Dans ce cadre, je voudrais
attirer l’attention sur deux falsifications de la sainteté qui
pourraient nous faire dévier du chemin : le gnosticisme et le
pélagianisme. Ce sont deux hérésies apparues au cours des
premiers siècles du christianisme mais qui sont encore d’une
préoccupante actualité. Même aujourd’hui les cœurs de nombreux
chrétiens, peut-être sans qu’ils s’en rendent compte, se
laissent séduire par ces propositions trompeuses. En elles
s’exprime un immanentisme anthropocentrique déguisé en vérité
catholique[33].
Voyons ces deux formes de sécurité, doctrinale ou disciplinaire,
qui donnent lieu à « un élitisme narcissique et autoritaire, où,
au lieu d’évangéliser, on analyse et classifie les autres, et,
au lieu de faciliter l’accès à la grâce, les énergies s’usent
dans le contrôle. Dans les deux cas, ni Jésus-Christ ni les autres
n’intéressent vraiment »[34].
Le gnosticisme actuel
36. Le gnosticisme suppose «
une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une
expérience déterminée ou une série de raisonnements et de
connaissances que l’on considère comme pouvant réconforter et
éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans
l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments »[35].
Un esprit sans Dieu et sans chair
37. Grâce à Dieu, tout au long
de l’histoire de l’Église, il a toujours été très clair que
la perfection des personnes se mesure par leur degré de charité et
non par la quantité des données et des connaissances qu’elles
accumulent. Les ‘‘gnostiques’’ font une confusion sur ce
point et jugent les autres par leur capacité à comprendre la
profondeur de certaines doctrines. Ils conçoivent un esprit sans
incarnation, incapable de toucher la chair souffrante du Christ dans
les autres, corseté dans une encyclopédie d’abstractions. En
désincarnant le mystère, ils préfèrent finalement « un Dieu
sans Christ, un Christ sans Église, une Église sans peuple »[36].
38. En définitive, il s’agit
d’une superficialité vaniteuse : beaucoup de mouvement à la
surface de l’esprit, mais la profondeur de la pensée ne se meut
ni ne s’émeut. Cette superficialité arrive cependant à
subjuguer certains par une fascination trompeuse, car l’équilibre
gnostique réside dans la forme et semble aseptisé ; et il peut
prendre l’aspect d’une certaine harmonie ou d’un ordre qui
englobent tout.
39. Mais attention ! Je ne fais
pas référence aux rationalistes ennemis de la foi chrétienne.
Cela peut se produire dans l’Église, tant chez les laïcs des
paroisses que chez ceux qui enseignent la philosophie ou la
théologie dans les centres de formation. Car c’est aussi le
propre des gnostiques de croire que, par leurs explications, ils
peuvent rendre parfaitement compréhensibles toute la foi et tout
l’Evangile. Ils absolutisent leurs propres théories et obligent
les autres à se soumettre aux raisonnements qu’ils utilisent. Une
chose est un sain et humble usage de la raison pour réfléchir sur
l’enseignement théologique et moral de l’Evangile ; une autre
est de prétendre réduire l’enseignement de Jésus à une logique
froide et dure qui cherche à tout dominer[37].
Une doctrine sans mystère
40. Le gnosticisme est l’une
des pires idéologies puisqu’en même temps qu’il exalte
indûment la connaissance ou une expérience déterminée, il
considère que sa propre vision de la réalité représente la
perfection. Ainsi, peut-être sans s’en rendre compte, cette
idéologie se nourrit-elle elle-même et sombre-t-elle d’autant
plus dans la cécité. Elle devient parfois particulièrement
trompeuse quand elle se déguise en spiritualité désincarnée. Car
le gnosticisme « de par sa nature même veut apprivoiser le mystère
»[38],
tant le mystère de Dieu et de sa grâce que le mystère de la vie
des autres.
41. Lorsque quelqu’un a
réponse à toutes les questions, cela montre qu’il n’est pas
sur un chemin sain, et il est possible qu’il soit un faux prophète
utilisant la religion à son propre bénéfice, au service de ses
élucubrations psychologiques et mentales. Dieu nous dépasse
infiniment, il est toujours une surprise et ce n’est pas nous qui
décidons dans quelle circonstance historique le rencontrer,
puisqu’il ne dépend pas de nous de déterminer le temps, le lieu
et la modalité de la rencontre. Celui qui veut que tout soit clair
et certain prétend dominer la transcendance de Dieu.
42. On ne peut pas non plus
prétendre définir là où Dieu ne se trouve pas, car il est
présent mystérieusement dans la vie de toute personne, il est dans
la vie de chacun comme il veut, et nous ne pouvons pas le nier par
nos supposées certitudes. Même quand l’existence d’une
personne a été un désastre, même quand nous la voyons détruite
par les vices et les addictions, Dieu est dans sa vie. Si nous nous
laissons guider par l’Esprit plus que par nos raisonnements, nous
pouvons et nous devons chercher le Seigneur dans toute vie humaine.
Cela fait partie du mystère que les mentalités gnostiques
finissent par rejeter, parce qu’elles ne peuvent pas le contrôler.
Les limites de la raison
43. Nous ne parvenons à
comprendre que très pauvrement la vérité que nous recevons du
Seigneur. Plus difficilement encore nous parvenons à l’exprimer.
Nous ne pouvons donc pas prétendre que notre manière de la
comprendre nous autorise à exercer une supervision stricte sur la
vie des autres. Je voudrais rappeler que dans l’Église cohabitent
à bon droit diverses manières d’interpréter de nombreux aspects
de la doctrine et de la vie chrétienne qui, dans leur variété, «
aident à mieux expliquer le très riche trésor de la Parole ». En
réalité « à ceux qui rêvent d’une doctrine monolithique
défendue par tous sans nuances, cela peut sembler une dispersion
imparfaite »[39].
Précisément, certains courants gnostiques ont déprécié la
simplicité si concrète de l’Evangile et ont cherché à
remplacer le Dieu trinitaire et incarné par une Unité supérieure
où disparaissait la riche multiplicité de notre histoire.
44. En réalité, la doctrine,
ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, « n’est
pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer
des questions, des doutes, des interrogations », et « les
questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves,
ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique
que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le
principe de l’incarnation. Ses questions nous aident à nous
interroger, ses interrogations nous interrogent »[40].
45. Il se produit fréquemment
une dangereuse confusion : croire que parce que nous savons quelque
chose ou que nous pouvons l’expliquer selon une certaine logique,
nous sommes déjà saints, parfaits, meilleurs que la « masse
ignorante ». Saint Jean-Paul II mettait en garde ceux qui dans
l’Église ont la chance d’une formation plus poussée contre la
tentation de nourrir « un certain sentiment de supériorité par
rapport aux autres fidèles »[41].
Mais en réalité, ce que nous croyons savoir devrait être toujours
un motif pour mieux répondre à l’amour de Dieu, car « on
apprend pour vivre : théologie et sainteté sont un binôme
inséparable »[42].
46. Quand saint François
d’Assise a vu que certains de ses disciples enseignaient la
doctrine, il a voulu éviter la tentation du gnosticisme. Il a donc
écrit ceci à saint Antoine de Padoue : « Il me plaît que tu
lises la théologie sacrée aux frères, pourvu que, dans l’étude
de celle-ci, tu n’éteignes pas l’esprit de sainte oraison et de
dévotion »[43].
Il percevait la tentation de transformer l’expérience chrétienne
en un ensemble d’élucubrations mentales qui finissent par
éloigner de la fraîcheur de l’Evangile. Saint Bonaventure,
d’autre part, faisait remarquer que la vraie sagesse chrétienne
ne doit pas être séparée de la miséricorde envers le prochain :
« La plus grande sagesse qui puisse exister consiste à diffuser
fructueusement ce qu’on a à offrir, ce qui a été précisément
donné pour être offert […] C’est pourquoi tout comme la
miséricorde est amie de la sagesse, l’avarice est son ennemi
»[44].
« Il y a une activité qui, en s’unissant à la contemplation ne
l’entrave pas, mais la favorise ainsi que les œuvres de
miséricorde et de piété »[45].
Le pélagianisme actuel
47. Le gnosticisme a donné lieu
à une autre vieille hérésie qui est également présente
aujourd’hui. A mesure que passait le temps, beaucoup ont commencé
à reconnaître que ce n’est pas la connaissance qui nous rend
meilleurs ni saints, mais la vie que nous menons. Le problème,
c’est que cela a dégénéré subtilement, de sorte que l’erreur
même des gnostiques s’est simplement transformée mais n’a pas
été surmontée.
48. Car le pouvoir que les
gnostiques attribuaient à l’intelligence, certains commencèrent
à l’attribuer à la volonté humaine, à l’effort personnel.
C’est ainsi que sont apparus les pélagiens et les semi-pélagiens.
Ce n’était plus l’intelligence qui occupait la place du mystère
et de la grâce, mais la volonté. On oubliait qu’« il n’est
pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui
fait miséricorde » (Rm 9, 16) et que « lui nous a aimés
le premier» (1Jn 4, 19).
Une volonté sans humilité
49. Ceux qui épousent cette
mentalité pélagienne ou semi-pélagienne, bien qu’ils parlent de
la grâce de Dieu dans des discours édulcorés, « en définitive
font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent
supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes
déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à
un certain style catholique »[46].
Quand certains d’entre eux s’adressent aux faibles en leur
disant que tout est possible avec la grâce de Dieu, au fond ils
font d’habitude passer l’idée que tout est possible par la
volonté humaine, comme si celle-ci était quelque chose de pur, de
parfait, de tout-puissant, auquel s’ajoute la grâce. On cherche à
ignorer que ‘‘tous ne peuvent pas tout’’[47],
et qu’en cette vie les fragilités humaines ne sont pas
complètement et définitivement guéries par la grâce[48].
De toute manière, comme l’enseignait saint Augustin, Dieu
t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux
pas [49];
ou bien à dire humblement au Seigneur : « Donne ce que tu
commandes et commande ce que tu veux »[50].
50. Au fond, l’absence de la
reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est
ce qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui
laisse pas de place pour réaliser ce bien possible qui s’insère
dans un cheminement sincère et réel de croissance[51].
La grâce, justement parce qu’elle suppose notre nature, ne fait
pas de nous, d’un coup, des surhommes. Le prétendre serait placer
trop de confiance en nous-mêmes. Dans ce cas, derrière
l’orthodoxie, nos attitudes pourraient ne pas correspondre à ce
que nous affirmons sur la nécessité de la grâce, et dans les
faits nous finissons par compter peu sur elle. Car si nous ne
percevons pas notre réalité concrète et limitée, nous ne
pourrons pas voir non plus les pas réels et possibles que le
Seigneur nous demande à chaque instant, après nous avoir rendus
capables et nous avoir conquis par ses dons. La grâce agit
historiquement et, d’ordinaire, elle nous prend et nous transforme
de manière progressive[52].
C’est pourquoi si nous rejetons ce caractère historique et
progressif, nous pouvons, de fait, arriver à la nier et à la
bloquer, bien que nous l’exaltions par nos paroles.
51. Quand Dieu s’adresse à
Abraham, il lui dit : « Je suis Dieu tout-puissant. Marche en ma
présence et sois parfait » (Gn 17, 1). Pour que nous soyons
parfaits comme il le désire, nous devons vivre humblement en sa
présence, enveloppés de sa gloire ; il nous faut marcher en union
avec lui en reconnaissant son amour constant dans nos vies. Il ne
faut plus avoir peur de cette présence qui ne peut que nous faire
du bien. Il est le Père qui nous a donné la vie et qui nous aime
tant. Une fois que nous l’acceptons et que nous cessons de penser
notre vie sans lui, l’angoisse de la solitude disparaît (cf. Ps
139, 7). Et si nous n’éloignons plus Dieu de nous et que nous
vivons en sa présence, nous pourrons lui permettre d’examiner nos
cœurs pour qu’il voie s’ils sont sur le bon chemin (cf. Ps
139, 23-24). Ainsi, nous connaîtrons la volonté du Seigneur, ce
qui lui plaît et ce qui est parfait (cf. Rm 12, 1-2) et nous
le laisserons nous modeler comme un potier (cf. Is 29, 16).
Nous avons souvent dit que Dieu habite en nous, mais il est mieux de
dire que nous habitons en lui, qu’il nous permet de vivre dans sa
lumière et dans son amour. Il est notre temple : « La chose que je
cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de
ma vie » (cf. Ps 27, 4). « Mieux vaut un jour dans tes
parvis que mille à ma guise » (Ps 84, 11). C’est en lui
que nous sommes sanctifiés.
Un enseignement de l’Église souvent oublié
52. L’Église catholique a
maintes fois enseigné que nous ne sommes pas justifiés par nos
œuvres ni par nos efforts mais par la grâce du Seigneur qui prend
l’initiative. Les Pères de l’Église, même avant saint
Augustin, exprimaient clairement cette conviction primordiale. Saint
Jean Chrysostome disait que Dieu verse en nous la source même de
tous les dons avant même que nous n’entrions dans le combat[53].
Saint Basile le Grand faisait remarquer que le fidèle se glorifie
seulement en Dieu, car il sait qu’il « est dépourvu de vraie
justice et ne [trouve] sa justice que dans la foi au Christ »[54].
53. Le deuxième Synode d’Orange
a enseigné avec grande autorité que nul homme peut exiger, mériter
ou acheter le don de la grâce divine et que toute coopération avec
elle est d’abord un don de la grâce elle-même : « Même notre
volonté de purification est un effet de l’infusion et de
l’opération du Saint Esprit en nous »[55].
Plus tard, même quand le Concile de Trente souligne l’importance
de notre coopération pour la croissance spirituelle, il réaffirme
cet enseignement dogmatique : on dit que nous sommes « justifiés
gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification,
que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la
justification. En effet, si c’est une grâce, elle ne vient pas
des œuvres ; autrement, la grâce n’est plus la grâce (Rm
11, 6)»[56].
54. Le Catéchisme de l’Église
catholique aussi nous rappelle que le don de la grâce « surpasse
les capacités de l’intelligence et les forces de la volonté
humaine »[57],
et qu’« à l’égard de Dieu, il n’y a pas, au sens d’un
droit strict, de mérite de la part de l’homme. Entre Lui et nous
l’inégalité est sans mesure »[58].
Son amitié nous dépasse infiniment, nous ne pouvons pas l’acheter
par nos œuvres et elle ne peut être qu’un don de son initiative
d’amour. Cela nous invite à vivre dans une joyeuse gratitude pour
ce don que nous ne mériterons jamais, puisque « quand [quelqu’un]
possède déjà la grâce, il ne peut mériter cette grâce déjà
reçue »[59].
Les saints évitent de mettre leur confiance dans leurs propres
actions : « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les
mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes
œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux »[60].
55. C’est l’une des grandes
convictions définitivement acquises par l’Église, et cela est si
clairement exprimé dans la Parole de Dieu que c’est hors de toute
discussion. Tout comme le commandement suprême de l’amour, cette
vérité devrait marquer notre style de vie, parce qu’elle
s’abreuve au cœur de l’Evangile et elle demande non seulement à
être accueillie par notre esprit, mais aussi à être transformée
en une joie contagieuse. Cependant nous ne pourrons pas célébrer
avec gratitude le don gratuit de l’amitié avec le Seigneur si
nous ne reconnaissons pas que même notre existence terrestre et nos
capacités naturelles sont un don. Il nous faut « accepter
joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre
liberté comme une grâce. C’est ce qui est difficile aujourd’hui
dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de
sa propre originalité ou de sa liberté »[61].
56. C’est seulement à partir
du don de Dieu, librement accueilli et humblement reçu, que nous
pouvons coopérer par nos efforts à nous laisser transformer de
plus en plus[62].
Il faut d’abord appartenir à Dieu. Il s’agit de nous offrir à
celui qui nous devance, de lui remettre nos capacités, notre
engagement, notre lutte contre le mal et notre créativité, pour
que son don gratuit grandisse et se développe en nous : « Je vous
exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos
personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm
12, 1). D’autre part, l’Église a toujours enseigné que seule
la charité rend possible la croissance dans la vie de la grâce car
« si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (1Co 13,
2).
Les nouveaux pélagiens
57. Il y a encore des chrétiens
qui s’emploient à suivre un autre chemin : celui de la
justification par leurs propres forces, celui de l’adoration de la
volonté humaine et de ses propres capacités, ce qui se traduit par
une autosatisfaction égocentrique et élitiste dépourvue de
l’amour vrai. Cela se manifeste par de nombreuses attitudes
apparemment différentes : l’obsession pour la loi, la fascination
de pouvoir montrer des conquêtes sociales et politiques,
l’ostentation dans le soin de la liturgie, de la doctrine et du
prestige de l’Église, la vaine gloire liée à la gestion
d’affaires pratiques, l’enthousiasme pour les dynamiques
d’autonomie et de réalisation autoréférentielle. Certains
chrétiens consacrent leurs énergies et leur temps à cela, au lieu
de se laisser porter par l’Esprit sur le chemin de l’amour, de
brûler du désir de communiquer la beauté et la joie de
l’Evangile, et de chercher ceux qui sont perdus parmi ces immenses
multitudes assoiffées du Christ[63].
58. Souvent, contre l’impulsion
de l’Esprit, la vie de l’Église se transforme en pièce de
musée ou devient la propriété d’un petit nombre. Cela se
produit quand certains groupes chrétiens accordent une importance
excessive à l’accomplissement de normes, de coutumes ou de styles
déterminés. De cette manière, on a l’habitude de réduire et de
mettre l’Evangile dans un carcan en lui retirant sa simplicité
captivante et sa saveur. C’est peut-être une forme subtile de
pélagianisme, parce que cela semble soumettre la vie de la grâce à
quelques structures humaines. Cela touche des groupes, des
mouvements et des communautés, et c’est ce qui explique que, très
souvent, ils commencent par une vie intense dans l’Esprit mais
finissent fossilisés… ou corrompus.
59. Sans nous en rendre compte,
en pensant que tout dépend de l’effort humain canalisé par des
normes et des structures ecclésiales, nous compliquons l’Evangile
et nous devenons esclaves d’un schéma qui laisse peu de place
pour que la grâce agisse. Saint Thomas d’Aquin nous rappelait que
les préceptes ajoutés à l’Evangile par l’Église doivent
s’exiger avec modération « de peur que la vie des fidèles en
devienne pénible » et qu’ainsi notre religion ne se transforme
en « un fardeau asservissant »[64].
Le résumé de la Loi
60. Pour éviter cela, il est
bon de rappeler fréquemment qu’il y a une hiérarchie des vertus
qui nous invite à rechercher l’essentiel. Le primat revient aux
vertus théologales qui ont Dieu pour objet et cause. Et au centre
se trouve la charité. Saint Paul affirme que ce qui compte
vraiment, c’est la « la foi opérant par la charité » (Ga
5, 6). Nous sommes appelés à préserver plus soigneusement la
charité : « Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi
[…]. La charité est donc la loi dans sa plénitude » (Rm
13, 8.10). « Car une seule formule contient toute la Loi en sa
plénitude : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” » (Ga
5, 14).
61. En d’autres termes : dans
l’épaisse forêt de préceptes et de prescriptions, Jésus ouvre
une brèche qui permet de distinguer deux visages : celui du Père
et celui du frère. Il ne nous offre pas deux formules ou deux
préceptes de plus. Il nous offre deux visages, ou mieux, un seul,
celui de Dieu qui se reflète dans beaucoup d’autres. Car en
chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense
et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image
même de Dieu. En effet, avec cette humanité vulnérable considérée
comme déchet, à la fin des temps, le Seigneur façonnera sa
dernière œuvre d’art. Car « qu’est-ce qui reste, qu’est-ce
qui a de la valeur dans la vie, quelles richesses ne s’évanouissent
pas ? Sûrement deux : le Seigneur et le prochain. Ces deux
richesses ne s’évanouissent pas »[65].
62. Que le Seigneur délivre
l’Église des nouvelles formes de gnosticisme et de pélagianisme
qui l’affublent et l’entravent sur le chemin de la sainteté !
Ces déviations s’expriment de diverses manières, selon le
tempérament et des caractéristiques propres à chacun. C’est
pourquoi j’exhorte chacun à se demander et à discerner devant
Dieu de quelle manière elles peuvent être en train de se
manifester dans sa vie.
Troisième chapitre
A LA LUMIERE DU MAÎTRE
63. Il peut y avoir de
nombreuses théories sur ce qu’est la sainteté, d’abondantes
explications et distinctions. Cette réflexion pourrait être utile,
mais rien n’est plus éclairant que de revenir aux paroles de
Jésus et de recueillir sa manière de transmettre la vérité.
Jésus a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être
saint, et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes
(cf. Mt 5, 3-12 ; Lc 6, 20-23). Elles sont comme la
carte d’identité du chrétien. Donc, si quelqu’un d’entre
nous se pose cette question, “comment fait-on pour parvenir à
être un bon chrétien ?”, la réponse est simple : il faut mettre
en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le
sermon des béatitudes[66].
À travers celles-ci se dessine le visage du Maître que nous sommes
appelés à révéler dans le quotidien de nos vies.
64. Le mot “heureux” ou
“bienheureux”, devient synonyme de “saint”, parce qu’il
exprime le fait que la personne qui est fidèle à Dieu et qui vit
sa Parole atteint, dans le don de soi, le vrai bonheur.
À contrecourant
65. Bien que les paroles de
Jésus puissent nous sembler poétiques, elles vont toutefois
vraiment à contrecourant de ce qui est habituel, de ce qui se fait
dans la société ; et, bien que ce message de Jésus nous attire,
en réalité le monde nous mène vers un autre style de vie. Les
béatitudes ne sont nullement quelque chose de léger ou de
superficiel, bien au contraire ; car nous ne pouvons les vivre que
si l’Esprit Saint nous envahit avec toute sa puissance et nous
libère de la faiblesse de l’égoïsme, du confort, de l’orgueil.
66. Écoutons encore Jésus,
avec tout l’amour et le respect que mérite le Maître.
Permettons-lui de nous choquer par ses paroles, de nous provoquer,
de nous interpeller en vue d’un changement réel de vie.
Autrement, la sainteté ne sera qu’un mot. Examinons à présent
les différentes béatitudes dans la version de l’Évangile selon
Matthieu (cf. Mt 5, 3-12) [67]:
« Heureux les pauvres en esprit, car le
Royaume des cieux est à eux ».
67. L’Évangile nous invite à
reconnaître la vérité de notre cœur, pour savoir où nous
plaçons la sécurité de notre vie. En général, le riche se sent
en sécurité avec ses richesses, et il croit que lorsqu’elles
sont menacées, tout le sens de sa vie sur terre s’effondre. Jésus
lui-même nous l’a dit dans la parabole du riche insensé, en
parlant de cet homme confiant qui, comme un insensé, ne pensait pas
qu’il pourrait mourir le jour même (cf. Lc 12, 16-21).
68. Les richesses ne te
garantissent rien. Qui plus est, quand le cœur se sent riche, il
est tellement satisfait de lui-même qu’il n’y a plus de place
pour la Parole de Dieu, pour aimer les frères ni pour jouir des
choses les plus importantes de la vie. Il se prive ainsi de plus
grands biens. C’est pourquoi Jésus déclare heureux les pauvres
en esprit, ceux qui ont le cœur pauvre, où le Seigneur peut entrer
avec sa nouveauté constante.
69. Cette pauvreté d’esprit
est étroitement liée à la “sainte indifférence” que saint
Ignace de Loyola proposait, et par laquelle nous atteignons une
merveilleuse liberté intérieure : « Pour cela il est nécessaire
de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout
ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne
lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas,
pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que
la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une
vie courte et ainsi de suite pour tout le reste »[68].
70. Luc ne parle pas d’une
pauvreté en “esprit” mais d’être “pauvre” tout court
(cf. Lc 6, 20), et ainsi il nous invite également à une
existence austère et dépouillée. De cette façon, il nous appelle
à partager la vie des plus pauvres, la vie que les Apôtres ont
menée, et en définitive à nous configurer à Jésus qui, étant
riche, « s’est fait pauvre » (2 Co 8, 9).
Être pauvre de cœur, c’est cela la sainteté
!
« Heureux les doux, car ils possèderont la
terre ».
71. C’est une expression
forte, dans ce monde qui depuis le commencement est un lieu
d’inimitié, où l’on se dispute partout, où, de tous côtés,
il y a de la haine, où constamment nous classons les autres en
fonction de leurs idées, de leurs mœurs, voire de leur manière de
parler ou de s’habiller. En définitive, c’est le règne de
l’orgueil et de la vanité, où chacun croit avoir le droit de
s’élever au-dessus des autres. Néanmoins, bien que cela semble
impossible, Jésus propose un autre style : la douceur. C’est ce
qu’il pratiquait avec ses propres disciples et c’est ce que nous
voyons au moment de son entrée à Jérusalem : « Voici que ton Roi
vient à toi ; modeste, il monte une ânesse » (Mt 21, 5 ;
cf. Zc 9, 9).
72. Jésus a dit : «
Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et
vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29). Si
nous vivons tendus, prétentieux face aux autres, nous finissons par
être fatigués et épuisés. Mais si nous regardons leurs limites
et leurs défauts avec tendresse et douceur, sans nous sentir
meilleurs qu’eux, nous pouvons les aider et nous évitons d’user
nos énergies en lamentations inutiles. Pour sainte Thérèse de
Lisieux, « la charité parfaite consiste à supporter les défauts
des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses »[69].
73. Paul mentionne la douceur
comme un fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 23). Il propose
que, si nous sommes parfois préoccupés par les mauvaises actions
du frère, nous nous approchions pour le corriger, mais « avec un
esprit de douceur » (Ga 6, 1), et il rappelle : « Tu
pourrais bien toi aussi être tenté » (ibid.). Même
lorsque l’on défend sa foi et ses convictions, il faut le faire «
avec douceur » (1 P 3, 16), y compris avec les adversaires
qui doivent être traités « avec douceur » (2 Tm 2, 25).
Dans l’Église, bien des fois nous nous sommes trompés pour ne
pas avoir accueilli cette requête de la Parole de Dieu.
74. La douceur est une autre
expression de la pauvreté intérieure de celui qui place sa
confiance seulement en Dieu. En effet, dans la Bible on utilise
habituellement le même mot anawin pour désigner les pauvres
et les doux. Quelqu’un pourrait objecter : “Si je suis trop
doux, on pensera que je suis stupide, que je suis idiot ou faible”.
C’est peut-être le cas, mais laissons les autres penser cela. Il
vaut mieux toujours être doux, et nos plus grands désirs
s’accompliront : les doux « possèderont la terre », autrement
dit, ils verront accomplies, dans leurs vies, les promesses de Dieu.
En effet, les doux, indépendamment des circonstances, espèrent
dans le Seigneur, et les humbles possèderont la terre et jouiront
d’une grande paix (cf. Ps 37, 9.11). En même temps, le
Seigneur leur fait confiance : « Celui sur qui je porte les yeux,
c’est le pauvre et l’humilié, celui qui tremble à ma parole »
(Is 66, 2).
Réagir avec une humble douceur, c’est cela la
sainteté !
« Heureux les affligés, car ils seront
consolés »
75. Le monde nous propose le
contraire : le divertissement, la jouissance, le loisir, la
diversion, et il nous dit que c’est cela qui fait la bonne vie.
L’homme mondain ignore, détourne le regard quand il y a des
problèmes de maladie ou de souffrance dans sa famille ou autour de
lui. Le monde ne veut pas pleurer : il préfère ignorer les
situations douloureuses, les dissimuler, les cacher. Il s’ingénie
à fuir les situations où il y a de la souffrance, croyant qu’il
est possible de masquer la réalité, où la croix ne peut jamais,
jamais manquer.
76. La personne qui voit les
choses comme elles sont réellement se laisse transpercer par la
douleur et pleure dans son cœur, elle est capable de toucher les
profondeurs de la vie et d’être authentiquement heureuse[70].
Cette personne est consolée, mais par le réconfort de Jésus et
non par celui du monde. Elle peut ainsi avoir le courage de partager
la souffrance des autres et elle cesse de fuir les situations
douloureuses. De cette manière, elle trouve que la vie a un sens,
en aidant l’autre dans sa souffrance, en comprenant les angoisses
des autres, en soulageant les autres. Cette personne sent que
l’autre est la chair de sa chair, elle ne craint pas de s’en
approcher jusqu’à toucher sa blessure, elle compatit jusqu’à
se rendre compte que les distances ont été supprimées. Il devient
ainsi possible d’accueillir cette exhortation de saint Paul : «
Pleurez avec qui pleure » (Rm 12, 15).
Savoir pleurer avec les autres, c’est cela la
sainteté !
« Heureux les affamés et les assoiffés de
la justice, car ils seront rassasiés »
77. ‘‘Avoir faim et soif’’
sont des expériences très intenses, parce qu’elles répondent à
des besoins vitaux et sont liées à l’instinct de survie. Il y a
des gens qui avec cette même intensité aspirent à la justice et
la recherchent avec un désir vraiment ardent. Jésus dit qu’ils
seront rassasiés, puisque, tôt ou tard, la justice devient
réalité, et nous, nous pouvons contribuer à ce que ce soit
possible, même si nous ne voyons pas toujours les résultats de cet
engagement.
78. Mais la justice que Jésus
propose n’est pas comme celle que le monde recherche ; une justice
tant de fois entachée par des intérêts mesquins, manipulée d’un
côté ou de l’autre. La réalité nous montre combien il est
facile d’entrer dans les bandes organisées de la corruption, de
participer à cette politique quotidienne du “donnant-donnant”,
où tout est affaire. Et que de personnes souffrent d’injustices,
combien sont contraintes à observer, impuissantes, comment les
autres se relaient pour se partager le gâteau de la vie. Certains
renoncent à lutter pour la vraie justice et choisissent de monter
dans le train du vainqueur. Cela n’a rien à voir avec la faim et
la soif de justice dont Jésus fait l’éloge.
79. Une telle justice commence à
devenir réalité dans la vie de chacun lorsque l’on est juste
dans ses propres décisions, et elle se manifeste ensuite, quand on
recherche la justice pour les pauvres et les faibles. Il est vrai
que le mot “justice” peut être synonyme de fidélité à la
volonté de Dieu par toute notre vie, mais si nous lui donnons un
sens très général, nous oublions qu’elle se révèle en
particulier dans la justice envers les désemparés : « Recherchez
le droit, redressez le violent ! Faites droit à l’orphelin,
plaidez pour la veuve ! » (Is 1, 17).
Rechercher la justice avec faim et soif, c’est
cela la sainteté !
« Heureux les miséricordieux, car ils
obtiendront miséricorde ».
80. La miséricorde a deux
aspects : elle consiste à donner, à aider, à servir les autres,
et aussi à pardonner, à comprendre. Matthieu le résume dans une
règle d’or : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes
fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » (7, 12). Le
Catéchisme nous rappelle que cette loi doit être appliquée «
dans tous les cas »[71],
spécialement quand quelqu’un « est quelquefois affronté à des
situations qui rendent le jugement moral moins assuré et la
décision difficile »[72].
81. Donner et pardonner, c’est
essayer de reproduire dans nos vies un petit reflet de la perfection
de Dieu qui donne et pardonne en surabondance. C’est pourquoi,
dans l’évangile de Luc, nous n’entendons plus le « soyez
parfaits » (Mt 5, 48) mais : « Montrez-vous compatissants,
comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez
pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés ;
remettez, et il vous sera remis. Donnez et l’on vous donnera »
(6, 36-38). Et puis Luc ajoute quelque chose que nous ne devrions
pas ignorer : « De la mesure dont vous mesurez on mesurera pour
vous en retour » (6, 38). La mesure que nous utilisons pour
comprendre et pour pardonner nous sera appliquée pour nous
pardonner. La mesure que nous appliquons pour donner, nous sera
appliquée au ciel pour nous récompenser. Nous n’avons pas
intérêt à l’oublier.
82. Jésus ne dit pas : “Heureux
ceux qui planifient la vengeance”, mais il appelle heureux ceux
qui pardonnent et qui le font « jusqu’à soixante-dix-sept fois »
(Mt 18, 22). Il faut savoir que tous, nous constituons une
armée de gens pardonnés. Nous tous, nous avons bénéficié de la
compassion divine. Si nous nous approchons sincèrement du Seigneur
et si nous tendons l’oreille, nous entendrons parfois probablement
ce reproche : « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton
compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi ? » (Mt 18, 33).
Regarder et agir avec miséricorde, c’est cela
la sainteté !
« Heureux les cœurs purs, car ils verront
Dieu ».
83. Cette béatitude concerne
les personnes qui ont un cœur simple, pur, sans souillure, car un
cœur qui sait aimer ne laisse pas entrer dans sa vie ce qui porte
atteinte à cet amour, ce qui le fragilise ou ce qui le met en
danger. Dans la Bible, le cœur, ce sont nos intentions véritables,
ce que nous cherchons vraiment et que nous désirons, au-delà de ce
qui nous laissons transparaître : « Car ils [les hommes] ne voient
que les yeux, mais le Seigneur voit le cœur » (1 S 16, 7).
Il cherche à parler à notre cœur (cf. Os 2, 16) et il
désire y écrire sa Loi (cf. Jr. 31, 33). En définitive, il
veut nous donner un cœur nouveau (cf. Ez 36, 26).
84. Plus que sur toute chose, il
faut veiller sur le cœur (cf. Pr 4, 23). S’il n’est en
rien souillé par le mensonge, ce cœur a une valeur réelle pour le
Seigneur. Il « fuit la fourberie, il se retire devant des pensées
sans intelligence » (Sg 1, 5). Le Père, qui « voit dans le
secret » (Mt 6, 6), reconnaît ce qui n’est pas pur,
autrement dit, ce qui n’est pas sincère, mais qui est seulement
une coquille et une apparence, tout comme le Fils sait « ce qu'il y
[a] dans l'homme » (Jn 2, 25).
85. Il est vrai qu’il n’y a
pas d’amour sans des œuvres d’amour, mais cette béatitude nous
rappelle que le Seigneur demande un don de soi au frère qui vienne
du cœur, puisque « quand je distribuerais tous mes biens en
aumône, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas
la charité, cela ne me sert de rien » (1 Co 13, 3). Dans
l’Évangile selon Matthieu, nous voyons aussi que ce qui procède
du cœur, c’est cela qui souille l’homme (cf. 15, 18), car de là
proviennent, entre autres, les crimes, le vol, les faux témoignages.
(cf. Mt 15, 19). Les désirs et les décisions les plus
profonds, qui nous guident réellement, trouvent leur origine dans
les intentions du cœur.
86. Quand le cœur aime Dieu et
le prochain (cf. Mt 22, 36-40), quand telle est son intention
véritable et non pas de vaines paroles, alors ce cœur est pur et
il peut voir Dieu. Saint Paul, dans son hymne à la charité,
rappelle que « nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme
» (1 Co 13, 12), mais dans la mesure où règne l’amour
vrai, nous serons capables de voir « face à face » (ibid.).
Jésus promet que ceux qui ont un cœur pur ‘‘verront Dieu’’.
Garder le cœur pur de tout ce qui souille
l’amour, c’est cela la sainteté !
« Heureux les artisans de paix, car ils
seront appelés fils de Dieu ».
87. Cette béatitude nous fait
penser aux nombreuses situations de guerre qui se répètent. En ce
qui nous concerne, il est fréquent que nous soyons des instigateurs
de conflits ou au moins des causes de malentendus. Par exemple,
quand j’entends quelque chose de quelqu’un, que je vais voir une
autre personne et que je le lui répète ; et que j’en fais même
une deuxième version un peu plus étoffée et que je la propage. Et
si je réussis à faire plus de mal, il semble que cela me donne
davantage de satisfaction. Le monde des ragots, fait de gens qui
s’emploient à critiquer et à détruire, ne construit pas la
paix. Ces gens sont au contraire des ennemis de la paix et
aucunement bienheureux[73].
88. Les pacifiques sont source
de paix, ils bâtissent la paix et l’amitié sociales. À ceux qui
s’efforcent de semer la paix en tous lieux, Jésus a fait une
merveilleuse promesse : « Ils seront appelés fils de Dieu » (Mt
5, 9). Il a demandé à ses disciples de dire en entrant dans une
maison : « Paix à cette maison ! » (Lc 10, 5). La Parole
de Dieu exhorte chaque croyant à rechercher la paix ‘‘en union
avec tous’’ (cf. 2 Tm 2, 22), car « un fruit de justice
est semé dans la paix pour ceux qui produisent la paix » (Jc
3, 18). Et si parfois, dans notre communauté, nous avons des doutes
quant à ce que nous devons faire, « poursuivons donc ce qui
favorise la paix » (Rm 14, 19), parce que l’unité est
supérieure au conflit[74].
89. Il n’est pas facile de
bâtir cette paix évangélique qui n’exclut personne mais qui
inclut également ceux qui sont un peu étranges, les personnes
difficiles et compliquées, ceux qui réclament de l’attention,
ceux qui sont différents, ceux qui sont malmenés par la vie, ceux
qui ont d’autres intérêts. C’est dur et cela requiert une
grande ouverture d’esprit et de cœur, parce qu’il ne s’agit
pas d’« un consensus de bureau ou d’une paix éphémère, pour
une minorité heureuse »[75]
ni d’un projet « de quelques-uns destiné à quelques-uns »[76].
Il ne s’agit pas non plus d’ignorer ou de dissimuler les
conflits, mais « d’accepter de supporter le conflit, de le
résoudre et de le transformer en un maillon d’un nouveau
processus »[77].
Il s’agit d’être des artisans de paix, parce que bâtir la paix
est un art qui exige sérénité, créativité, sensibilité et
dextérité.
Semer la paix autour de nous, c’est cela la
sainteté !
« Heureux les persécutés pour la justice,
car le Royaume des cieux est à eux ».
90. Jésus lui-même souligne
que ce chemin va à contrecourant, au point de nous transformer en
sujets qui interpellent la société par leur vie, en personnes qui
dérangent. Jésus rappelle combien de personnes sont persécutées
et ont été persécutées simplement pour avoir lutté pour la
justice, pour avoir vécu leurs engagements envers Dieu et envers
les autres. Si nous ne voulons pas sombrer dans une obscure
médiocrité, ne recherchons pas une vie confortable, car « qui
veut […] sauver sa vie la perdra » (Mt 16, 25).
91. Pour vivre l’Évangile, on
ne peut pas s’attendre à ce que tout autour de nous soit
favorable, parce que souvent les ambitions du pouvoir et les
intérêts mondains jouent contre nous. Saint Jean-Paul II disait
qu’« une société est aliénée quand, dans les formes de son
organisation sociale, de la production et de la consommation, elle
rend plus difficile la réalisation [du] don [de soi] et la
constitution de [la] solidarité entre hommes »[78].
Dans une telle société aliénée, prise dans un enchevêtrement
politique, médiatique, économique, culturel et même religieux qui
empêche un authentique développement humain et social, il devient
difficile de vivre les béatitudes, et cela est même mal vu,
suspecté, ridiculisé.
92. La croix, en particulier les
peines et les souffrances que nous supportons pour suivre le
commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source
de maturation et de sanctification. Rappelons-nous que, lorsque le
Nouveau Testament parle des souffrances qu’il faut supporter pour
l’Évangile, il se réfère précisément aux persécutions (cf.
Ac 5, 41 ; Ph 1, 29 ; Col 1, 24 ; 2 Tm
1, 12 ; 1 P 2, 20 ; 4, 14-16 ; Ap 2, 10).
93. Mais nous parlons des
persécutions inévitables, non pas de celles que nous pouvons
causer nous-mêmes par une mauvaise façon de traiter les autres. Un
saint n’est pas quelqu’un de bizarre, de distant, qui se rend
insupportable par sa vanité, sa négativité et ses rancœurs. Les
Apôtres du Christ n’étaient pas ainsi. Le livre des Actes
rapporte avec insistance que ceux-ci jouissaient de la sympathie «
de tout le peuple » (2, 47 ; cf. 4, 21.33 ; 5, 13), tandis que
certaines autorités les harcelaient et les persécutaient (cf. 4,
1-3 ; 5, 17-18).
94. Les persécutions ne sont
pas une réalité du passé, parce qu’aujourd’hui également,
nous en subissons, que ce soit d’une manière sanglante, comme
tant de martyrs contemporains, ou d’une façon plus subtile, à
travers des calomnies et des mensonges. Jésus dit d’être heureux
quand « on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie »
(Mt 5, 11). D’autres fois, il s’agit de moqueries qui
cherchent à défigurer notre foi et à nous faire passer pour des
êtres ridicules.
Accepter chaque jour le chemin de l’Évangile
même s’il nous crée des problèmes, c’est cela la sainteté !
Le grand critère
95. Dans le chapitre 25 de
l’Évangile selon Matthieu (vv. 31-46), Jésus s’arrête de
nouveau sur l’une des béatitudes, celle qui déclare heureux les
miséricordieux. Si nous recherchons cette sainteté qui plaît aux
yeux de Dieu, nous trouvons précisément dans ce texte un critère
sur la base duquel nous serons jugés : « J’ai eu faim et vous
m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à
boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et
vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et
vous êtes venus me voir » (25, 35-36).
Par fidélité au Maître
96. Donc, être saint ne
signifie pas avoir le regard figé dans une prétendue extase. Saint
Jean-Paul II disait que « si nous sommes vraiment repartis de la
contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout
dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier
»[79].
Le texte de Matthieu 25, 35-36 « n’est pas une simple invitation
à la charité ; c’est une page de christologie qui projette un
rayon de lumière sur le mystère du Christ »[80].
Dans cet appel à le reconnaître dans les pauvres et les
souffrants, se révèle le cœur même du Christ, ses sentiments et
ses choix les plus profonds, auxquels tout saint essaie de se
conformer.
97. Vu le caractère formel de
ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir de supplier les
chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture
d’esprit sincère, “sine glossa”, autrement dit, sans
commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent
de leur force. Le Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut
pas être comprise ni être vécue en dehors de ces exigences, parce
que la miséricorde est « le cœur battant de l’Évangile»[81].
98. Quand je rencontre une
personne dormant exposée aux intempéries, dans une nuit froide, je
peux considérer que ce fagot est un imprévu qui m’arrête, un
délinquant désœuvré, un obstacle sur mon chemin, un aiguillon
gênant pour ma conscience, un problème que doivent résoudre les
hommes politiques, et peut-être même un déchet qui pollue
l’espace public. Ou bien je peux réagir à partir de la foi et de
la charité, et reconnaître en elle un être humain doté de la
même dignité que moi, une créature infiniment aimée par le Père,
une image de Dieu, un frère racheté par Jésus-Christ. C’est
cela être chrétien ! Ou bien peut-on comprendre la sainteté en
dehors de cette reconnaissance vivante de la dignité de tout être
humain ?[82]
99. Pour les chrétiens, cela
implique une saine et permanente insatisfaction. Bien que soulager
une seule personne justifierait déjà tous nos efforts, cela ne
nous suffit pas. Les Evêques du Canada l’ont exprimé clairement
en soulignant que, dans les enseignements bibliques sur le Jubilé,
par exemple, il ne s’agit pas seulement d’accomplir quelques
bonnes œuvres mais de rechercher un changement social : « Pour que
les générations futures soient également libérées, il est clair
que l’objectif doit être la restauration de systèmes sociaux et
économiques justes de manière que, désormais, il ne puisse plus y
avoir d’exclusion »[83].
Les idéologies qui mutilent le cœur de
l’Evangile
100. Je regrette que parfois
les idéologies nous conduisent à deux erreurs nuisibles. D’une
part, celle des chrétiens qui séparent ces exigences de l’Evangile
de leur relation personnelle avec le Seigneur, de l’union
intérieure avec lui, de la grâce. Ainsi, le christianisme devient
une espèce d’ONG, privée de cette mystique lumineuse qu’ont si
bien vécue et manifestée saint François d’Assise, saint Vincent
de Paul, sainte Teresa de Calcutta, et beaucoup d’autres. Chez ces
grands saints, ni la prière, ni l’amour de Dieu, ni la lecture de
l’Evangile n’ont diminué la passion ou l’efficacité du don
de soi au prochain, mais bien au contraire.
101. Est également
préjudiciable et idéologique l’erreur de ceux qui vivent en
suspectant l’engagement social des autres, le considérant comme
quelque chose de superficiel, de mondain, de laïcisant,
d’immanentiste, de communiste, de populiste. Ou bien, ils le
relativisent comme s’il y avait d’autres choses plus importantes
ou comme si les intéressait seulement une certaine éthique ou une
cause qu’eux-mêmes défendent. La défense de l’innocent qui
n’est pas encore né, par exemple, doit être sans équivoque,
ferme et passionnée, parce que là est en jeu la dignité de la vie
humaine, toujours sacrée, et l’amour de chaque personne
indépendamment de son développement exige cela. Mais est également
sacrée la vie des pauvres qui sont déjà nés, de ceux qui se
débattent dans la misère, l’abandon, le mépris, la traite des
personnes, l’euthanasie cachée des malades et des personnes âgées
privées d’attention, dans les nouvelles formes d’esclavage, et
dans tout genre de marginalisation[84].
Nous ne pouvons pas envisager un idéal de sainteté qui ignore
l’injustice de ce monde où certains festoient, dépensent
allègrement et réduisent leur vie aux nouveautés de la
consommation, alors que, dans le même temps, d’autres regardent
seulement du dehors, pendant que leur vie s’écoule et finit
misérablement.
102. On entend fréquemment
que, face au relativisme et aux défaillances du monde actuel, la
situation des migrants, par exemple, serait un problème mineur.
Certains catholiques affirment que c’est un sujet secondaire à
côté des questions “sérieuses” de la bioéthique. Qu’un
homme politique préoccupé par ses succès dise une telle chose, on
peut arriver à la comprendre ; mais pas un chrétien, à qui ne
sied que l’attitude de se mettre à la place de ce frère qui
risque sa vie pour donner un avenir à ses enfants. Pouvons-nous
reconnaître là précisément ce que Jésus-Christ nous demande
quand il nous dit que nous l’accueillons lui-même dans chaque
étranger (cf. Mt 25, 35) ? Saint Benoît l’avait accepté
sans réserve et, bien que cela puisse “compliquer” la vie des
moines, il a disposé que tous les hôtes qui se présenteraient au
monastère, on les accueille « comme le Christ »[85]
en l’exprimant même par des gestes d’adoration[86],
et que les pauvres et les pèlerins soient traités « avec le plus
grand soin et sollicitude »[87].
103. L’Ancien Testament
ordonne quelque chose de semblable quand il dit : « Tu ne
molesteras pas l’étranger ni ne l’opprimeras, car vous-mêmes
avez été étrangers dans le pays d’Égypte » (Ex 22,
20). « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un
compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été
des étrangers au pays d’Égypte » (Lv 19, 33-34). Par
conséquent, il ne s’agit pas d’une invention d’un Pape ou
d’un délire passager. Nous aussi, dans le contexte actuel, nous
sommes appelés à parcourir le chemin de l’illumination
spirituelle que nous indiquait le prophète Isaïe quand il
s’interrogeait sur ce qui plaît à Dieu : « N’est-ce pas
partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres
sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober
devant celui qui est ta propre chair ? Alors ta lumière éclatera
comme l’aurore » (58, 7-8).
Le culte qui lui plaît le plus
104. Nous pourrions penser que
nous rendons gloire à Dieu seulement par le culte et la prière, ou
uniquement en respectant certaines normes éthiques – certes la
primauté revient à la relation avec Dieu – et nous oublions que
le critère pour évaluer notre vie est, avant tout, ce que nous
avons fait pour les autres. La prière a de la valeur si elle
alimente un don de soi quotidien par amour. Notre culte plaît à
Dieu quand nous y mettons la volonté de vivre avec générosité et
quand nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de
nous-mêmes aux frères.
105. Pour la même raison, la
meilleure façon de discerner si notre approche de la prière est
authentique sera de regarder dans quelle mesure notre vie est en
train de se transformer à la lumière de la miséricorde. En effet,
« la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais
elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables
enfants »[88].
Elle « est le pilier qui soutient la vie de l’Église »[89].
Je voudrais souligner une fois de plus que, si la miséricorde
n’exclut pas la justice et la vérité, « avant tout, nous devons
dire que la miséricorde est la plénitude de la justice et la
manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu »[90].
Elle « est la clef du ciel »[91].
106. Je ne peux pas m’empêcher
de rappeler cette question que se posait saint Thomas d’Aquin
quand il examinait quelles sont nos actions les plus grandes,
quelles sont les œuvres extérieures qui manifestent le mieux notre
amour de Dieu. Il a répondu sans hésiter que ce sont les œuvres
de miséricorde envers le prochain[92].
plus que les actes de culte : « Les sacrifices et les offrandes qui
font partie du culte divin ne sont pas pour Dieu lui-même, mais
pour nous et nos proches. Lui-même n’en a nul besoin, et s’il
les veut, c’est pour exercer notre dévotion et pour aider le
prochain. C’est pourquoi la miséricorde qui subvient aux besoins
des autres, lui agrée davantage, étant plus immédiatement utile
au prochain »[93].
107. Celui qui veut vraiment
rendre gloire à Dieu par sa vie, celui qui désire réellement se
sanctifier pour que son existence glorifie le Saint, est appelé à
se consacrer, à s’employer, et à s’évertuer à essayer de
vivre les œuvres de miséricorde. C’est ce qu’a parfaitement
compris sainte Teresa de Calcutta : « Oui, j’ai beaucoup de
faiblesses humaines, beaucoup de misères humaines […] Mais il
s’abaisse et il se sert de nous, de vous et de moi, pour que nous
soyons son amour et sa compassion dans le monde, malgré nos péchés,
malgré nos misères et nos défauts. Il dépend de nous pour aimer
le monde, et lui prouver à quel point il l’aime. Si nous nous
occupons trop de nous-mêmes, nous n’aurons plus de temps pour les
autres »[94].
108. Le consumérisme hédoniste
peut nous jouer un mauvais tour, parce qu’avec l’obsession de
passer du bon temps, nous finissons par être excessivement axés
sur nous-mêmes, sur nos droits et sur la hantise d’avoir du temps
libre pour en jouir. Il sera difficile pour nous de nous soucier de
ceux qui se sentent mal et de consacrer des énergies à les aider,
si nous ne cultivons pas une certaine austérité, si nous ne
luttons pas contre cette fièvre que nous impose la société de
consommation pour nous vendre des choses, et qui finit par nous
transformer en pauvres insatisfaits qui veulent tout avoir et tout
essayer. La consommation de l’information superficielle et les
formes de communication rapide et virtuelle peuvent également être
un facteur d’abrutissement qui nous enlève tout notre temps et
nous éloigne de la chair souffrante des frères. Au milieu de ce
tourbillon actuel, l’Évangile vient résonner de nouveau pour
nous offrir une vie différente, plus saine et plus heureuse.
***
109. La force du témoignage
des saints, c’est d’observer les béatitudes et le critère du
jugement dernier. Ce sont peu de paroles, simples mais pratiques et
valables pour tout le monde, parce que le christianisme est
principalement fait pour être pratiqué, et s’il est objet de
réflexion, ceci n’est valable que quand il nous aide à incarner
l’Évangile dans la vie quotidienne. Je recommande de nouveau de
relire fréquemment ces grands textes bibliques, de se les rappeler,
de prier en s’en servant, d’essayer de les faire chair. Ils nous
feront du bien, ils nous rendront vraiment heureux.
Quatrième chapitre
QUELQUES CARACTÉRISTIQUES
DE LA SAINTETÉ DANS LE MONDE ACTUEL
DE LA SAINTETÉ DANS LE MONDE ACTUEL
110. Dans le grand tableau de
la sainteté que nous proposent les béatitudes et Matthieu
25, 31-46, je voudrais recueillir certaines caractéristiques ou
expressions spirituelles qui, à mon avis, sont indispensables pour
comprendre le style de vie auquel Jésus nous appelle. Je ne vais
pas m’attarder à expliquer les moyens de sanctification que nous
connaissons déjà : les différentes méthodes de prière, les
précieux sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation,
l’offrande de sacrifices, les diverses formes de dévotion, la
direction spirituelle, et tant d’autres. Je me référerai
uniquement à quelques aspects de l’appel à la sainteté dont
j’espère qu’ils résonneront de manière spéciale.
111. Ces caractéristiques que
je voudrais souligner ne sont pas toutes celles qui peuvent composer
un modèle de sainteté, mais elles sont au nombre de cinq, les
grandes manifestations de l’amour envers Dieu et le prochain que
je considère d’une importance particulière, vu certains risques
et certaines limites de la culture d’aujourd’hui. Dans cette
culture se manifestent : l’anxiété nerveuse et violente qui nous
disperse et nous affaiblit ; la négativité et la tristesse ;
l’acédie commode, consumériste et égoïste ; l’individualisme
et de nombreuses formes de fausse spiritualité sans rencontre avec
Dieu qui règnent dans le marché religieux actuel.
Endurance, patience et douceur
112. La première de ces
grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé
sur Dieu qui aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure,
il est possible d’endurer, de supporter les contrariétés, les
vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des
autres, leurs infidélités et leurs défauts : « Si Dieu est pour
nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31). Voilà la source de la
paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à
cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre
monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de
constance dans le bien. C’est la fidélité de l’amour, car
celui qui s’appuie sur Dieu (pistis) peut également être fidèle
aux frères (pistós) ; il ne les abandonne pas dans les moments
difficiles, il ne se laisse pas mener par l’anxiété et reste aux
côtés des autres même lorsque cela ne lui donne pas de
satisfactions immédiates.
113. Saint Paul invitait les
Romains à ne « rendre à personne le mal pour le mal » (Rm
12, 17), à ne pas vouloir se « faire justice à [eux]-mêmes »
(v. 19), et à ne pas se laisser vaincre par le mal, mais à être
vainqueurs « du mal par le bien » (v. 21). Cette attitude n’est
pas un signe de faiblesse mais de la vraie force, car Dieu lui-même
« est lent à la colère, mais grand par sa puissance » (Na
1, 3). La Parole de Dieu nous met en garde : « Aigreur,
emportement, colère, clameurs, outrages, tout cela doit être
extirpé de chez vous, avec la malice sous toutes ses formes » (Ep
4, 31).
114. Il nous faut lutter et
être attentifs face à nos propres penchants agressifs et
égocentriques pour ne pas permettre qu’ils s’enracinent : «
Emportez-vous, mais ne commettez pas le péché : que le soleil ne
se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). Quand des
circonstances nous accablent, nous pouvons toujours recourir à
l’ancre de la supplication qui nous conduit à demeurer encore
dans les mains de Dieu et près de la source de la paix : «
N’entretenez aucun souci ; mais en tout besoin recourez à
l’oraison et à la prière, pénétrées d’action de grâces,
pour présenter vos requêtes à Dieu. Alors la paix de Dieu, qui
surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurs et vos
pensées » (Ph 4, 6-7).
115. Les chrétiens aussi
peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur Internet
et à travers les différents forums ou espaces d’échange
digital. Même dans des milieux catholiques, on peut dépasser les
limites, on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie, et
toute éthique ainsi que tout respect de la renommée d’autrui
semblent évacués. Ainsi se produit un dangereux dualisme, car sur
ces réseaux on dit des choses qui ne seraient pas tolérables dans
la vie publique, et on cherche à compenser ses propres
insatisfactions en faisant déferler avec furie les désirs de
vengeance. Il est significatif que parfois, en prétendant défendre
d’autres commandements, on ignore complètement le huitième :
‘‘Ne pas porter de faux témoignage ni mentir’’, et on
détruit l’image de l’autre sans pitié. Là se manifeste sans
contrôle le fait que la langue est un « monde du mal » et « elle
enflamme le cycle de la création, enflammée qu’elle est par la
Géhenne » (Jc 3, 6).
116. La force intérieure qui
est l’œuvre de la grâce nous préserve de la contagion de la
violence qui envahit la vie sociale, car la grâce apaise la vanité
et rend possible la douceur du cœur. Le saint ne consacre pas ses
énergies à déplorer les erreurs d’autrui ; il est capable de
faire silence devant les défauts de ses frères et il évite la
violence verbale qui dévaste et maltraite, parce qu’il ne se juge
pas digne d’être dur envers les autres, mais il les estime
supérieurs à lui-même (cf. Ph 2, 3).
117. Il n’est pas bon pour
nous de regarder de haut, d’adopter la posture de juges
impitoyables, d’estimer les autres indignes et de prétendre
donner des leçons constamment. C’est là une forme subtile de
violence[95].
Saint Jean de la Croix proposait autre chose : « Préfère être
enseigné de tout le monde que d’instruire le moindre de tous
»[96].
Et il ajoutait un conseil pour tenir éloigné le démon : « [...|
Te réjouir du bien d’autrui comme du tien propre, [...] désirer
que les autres te soient préférés en toutes choses, le désirer,
dis-je, très sincèrement. De cette façon, tu surmonteras le mal
par le bien, tu repousseras le démon loin de toi, tu auras le cœur
dans la joie. Et tout cela, tu chercheras à l’exercer envers les
personnes qui te reviendront le moins. Sache que si tu n’en viens
là, tu n’arriveras pas à la parfaite charité, et que même tu
n’en approcheras point »[97].
118. L’humilité ne peut
s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans
elles, il n’y a ni humilité ni sainteté. Si tu n’es pas
capable de supporter et de souffrir quelques humiliations, tu n’es
pas humble et tu n’es pas sur le chemin de la sainteté. La
sainteté que Dieu offre à son Église vient à travers
l’humiliation de son Fils. Voilà le chemin ! L’humiliation te
conduit à ressembler à Jésus, c’est une partie inéluctable de
l’imitation de Jésus-Christ : « Le Christ […] a souffert pour
vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces »
(1 P 2, 21). Pour sa part, il exprime l’humilité du Père
qui s’humilie pour marcher avec son peuple, qui supporte ses
infidélités et ses murmures (cf. Ex 34, 6-9 ; Sg 11,
23-12, 2 ; Lc 6, 36). C’est pourquoi les Apôtres, après
l’humiliation, étaient « tout joyeux d’avoir été jugés
dignes de subir des outrages pour le Nom de Jésus » (Ac 5,
41).
119. Je ne me réfère pas
uniquement aux situations cruelles de martyre, mais aux humiliations
quotidiennes de ceux qui se taisent pour sauver leur famille, ou
évitent de parler bien d’eux-mêmes et préfèrent louer les
autres au lieu de se glorifier, choisissent les tâches les moins
gratifiantes, et même préfèrent parfois supporter quelque chose
d’injuste pour l’offrir au Seigneur : « Si, faisant le bien,
vous supportez la souffrance, c’est une grâce auprès de Dieu »
(1 P 2, 20). Il ne s’agit pas de marcher la tête basse, de
parler peu ou de fuir la société. Parfois précisément, parce que
libéré de l’égocentrisme, quelqu’un peut oser discuter
gentiment, réclamer la justice ou défendre les faibles face aux
puissants, bien que cela lui attire des conséquences négatives
pour son image.
120. Je ne dis pas que
l’humiliation soit quelque chose d’agréable, car ce serait du
masochisme, mais je dis qu’il s’agit d’un chemin pour imiter
Jésus et grandir dans l’union avec lui. Cela ne va pas de soi et
le monde se moque d’une pareille proposition. C’est une grâce
qu’il nous faut demander : ‘‘Seigneur, quand arrivent les
humiliations, aide-moi à sentir que je suis derrière toi, sur ton
chemin’’.
121. Cette attitude suppose un
cœur pacifié par le Christ, libéré de cette agressivité qui
jaillit d’un ego démesuré. La même pacification que réalise la
grâce nous permet de garder une assurance intérieure et de
supporter, de persévérer dans le bien même en traversant « un
ravin de ténèbres » (Ps 23, 4), ou même si une armée
vient « camper contre moi » (Ps 27, 3). Fermes dans le
Seigneur, le Rocher, nous pouvons chanter : « En paix, tout
aussitôt, je me couche et je dors : c’est toi, Seigneur, qui
m’établis à part, en sûreté » (Ps 4, 9). En
définitive, le Christ « est notre paix » (Ep 2, 14), il
vient « guider nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1,
79). Il a communiqué à sainte Faustine Kowalska : « L’humanité
ne trouvera pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas avec
confiance vers ma miséricorde divine »[98].
Ne tombons donc pas dans la tentation de chercher l’assurance
intérieure dans le succès, dans les plaisirs vides, dans la
possession, dans la domination des autres ou dans l’image sociale
: « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je
ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14, 27).
Joie et sens de l’humour
122. Ce qui a été dit jusqu’à
présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri,
mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de
vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme,
il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance.
Être chrétien est « joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,
17), parce que « l’amour de charité entraîne nécessairement la
joie. Toujours celui qui aime se réjouit d’être uni à l’aimé
[…]. C’est pourquoi la joie est conséquence de la charité
»[99].
Nous avons reçu la merveille de sa Parole et nous l’embrassons «
parmi bien des tribulations, avec la joie de l’Esprit Saint » (1
Th 1, 6). Si nous laissons le Seigneur nous sortir de notre
carapace et nous changer la vie, alors nous pourrons réaliser ce
que demandait saint Paul : « Réjouissez-vous sans cesse dans le
Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous » (Ph 4, 4).
123. Les prophètes annonçaient
le temps de Jésus que nous sommes en train de vivre comme une
révélation de la joie : « Pousse des cris de joie, des clameurs »
(Is 12, 6). « Monte sur une haute montagne, messagère de
Sion ; élève et force la voix, messagère de Jérusalem » (Is
40, 9). « Que les montagnes poussent des cris, car le Seigneur a
consolé son peuple, il prend en pitié ses affligés » (Is
49, 13). « Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille
de Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et
victorieux, humble » (Za 9, 9). Et n’oublions pas
l’exhortation de Néhémie : « Ne vous affligez point : la joie
du Seigneur est votre forteresse ! » (8, 10).
124. Marie, qui a su découvrir
la nouveauté que Jésus apportait, chantait : « Mon esprit
tressaille de joie en Dieu mon sauveur » (Lc 1, 47) et Jésus
lui-même « tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint
» (Lc 10, 21). Quand il passait, « la foule était dans la
joie » (Lc 13, 17). Après sa résurrection, là où
arrivaient les disciples il y avait une « joie vive » (Ac
8, 8). Jésus nous donne une assurance : « Vous serez tristes, mais
votre tristesse se changera en joie […]. Je vous verrai de nouveau
et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous
l’enlèvera » (Jn 16, 20.22). « Je vous dis cela pour que
ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn
15, 11).
125. Il y a des moments
difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruire la joie
surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure
toujours au moins comme un rayon de lumière qui naît de la
certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout
»[100].
C’est une assurance intérieure, une sérénité remplie
d’espérance qui donne une satisfaction spirituelle
incompréhensible selon les critères du monde.
126. Ordinairement, la joie
chrétienne est accompagnée du sens de l’humour, si remarquable,
par exemple, chez saint Thomas More, chez saint Vincent de Paul ou
chez saint Philippe Néri. La mauvaise humeur n’est pas un signe
de sainteté : « Eloigne de ton cœur le chagrin » (Qo 11,
10). Ce que nous recevons du Seigneur « afin d’en jouir » (1
Tm 6, 17) est tel que parfois la tristesse frise l’ingratitude
de notre part, frise le repli sur nous-mêmes au point que nous
sommes incapables de reconnaître les dons de Dieu[101].
127. Son amour paternel nous
invite : « Mon fils, traite-toi bien […]. Ne te refuse pas le
bonheur présent » (Si 14, 11.14). Il nous veut positifs,
reconnaissants et pas trop compliqués : « Au jour du bonheur, sois
heureux […]. Dieu a fait l’homme tout droit, et lui, cherche
bien des calculs » (Qo 7, 14.29). En toute circonstance, il
faut garder un esprit souple, et faire comme saint Paul : « J’ai
appris en effet à me suffire en toute occasion » (Ph 4,
11). C’est ce que vivait saint François d’Assise, capable
d’être ému de gratitude devant un morceau de pain dur, ou bien,
heureux de louer Dieu uniquement pour la brise qui caressait son
visage.
128. Je ne parle pas de la joie
consumériste et individualiste si répandue dans certaines
expériences culturelles d’aujourd’hui. Car le consumérisme ne
fait que surcharger le cœur ; il peut offrir des plaisirs
occasionnels et éphémères, mais pas la joie. Je me réfère
plutôt à cette joie qui se vit en communion, qui se partage et se
distribue, car « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir
» (Ac 20, 35) et « Dieu aime celui qui donne avec joie »
(2 Co 9, 7). L’amour fraternel accroît notre capacité de
joie, puisqu’il nous rend capables de jouir du bien des autres : «
Réjouissez-vous avec qui est dans la joie » (Rm 12, 15). «
Nous nous réjouissons, quand nous sommes faibles et que vous êtes
forts » (2 Co 13, 9). En revanche, « si nous nous
concentrons sur nos propres besoins, nous nous condamnons à vivre
avec peu de joie »[102].
Audace et ferveur
129. En même temps, la
sainteté est parresía : elle est audace, elle est une incitation à
l’évangélisation qui laisse une marque dans ce monde. Pour que
cela soit possible, Jésus lui-même vient à notre rencontre et
nous répète avec sérénité et fermeté : « Soyez sans crainte »
(Mc 6, 50). « Et voici que je suis avec vous pour toujours
jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Ces paroles nous
permettent de marcher et de servir dans cette attitude pleine de
courage que suscitait l’Esprit Saint chez les Apôtres et qui les
conduisait à annoncer Jésus-Christ. Audace, enthousiasme, parler
en toute liberté, ferveur apostolique, tout cela est compris dans
le vocable parresía, terme par lequel la Bible désigne également
la liberté d’une existence qui est ouverte, parce qu’elle se
trouve disponible à Dieu et aux autres (cf. Ac 4, 29 ; 9, 28
; 28, 31 ; 2 Co 3, 12 ; Ep 3, 12 ; He 3, 6 ; 10, 19).
130. Le bienheureux Paul
VI mentionnait parmi les obstacles à
l’évangélisation précisément le manque de parresía : «
Le manque de ferveur […] est d’autant plus grave qu’il vient
du dedans »[103].
Que de fois nous nous sentons engourdis par le confort de la rive !
Mais le Seigneur nous appelle à naviguer au large et à jeter les
filets dans des eaux plus profondes (cf. Lc 5, 4). Il nous
invite à consacrer notre vie à son service. Attachés à lui, nous
avons le courage de mettre tous nos charismes au service des autres.
Puissions-nous nous sentir récompensés par son amour (cf. 2 Co
5, 14) et puissions-nous dire avec saint Paul : « Malheur à moi si
je n'annonçais pas l’Evangile ! » (1 Co 9, 16).
131. Regardons Jésus : sa
compassion profonde n’était pas quelque chose qui l’isolait, ce
n’était pas une compassion paralysante, timide ou honteuse comme
bien des fois cela nous arrive, bien au contraire ! C’était une
compassion qui l’incitait à sortir de lui-même avec vigueur pour
annoncer, pour envoyer en mission, pour envoyer guérir et libérer.
Reconnaissons notre fragilité mais laissons Jésus la saisir de ses
mains et nous envoyer en mission. Nous sommes fragiles mais porteurs
d’un trésor qui nous grandit et qui peut rendre meilleurs et plus
heureux ceux qui le reçoivent. L’audace et le courage
apostoliques sont des caractéristiques de la mission.
132. La parresía est un
sceau de l’Esprit, une marque de l’authenticité de l’annonce.
Elle est l’assurance heureuse qui nous conduit à trouver notre
gloire dans l’Évangile que nous annonçons, elle est confiance
inébranlable dans la fidélité du Témoin fidèle qui nous donne
l’assurance que rien « ne pourra nous séparer de l’amour de
Dieu » (Rm 8, 39).
133. Nous avons besoin de
l’impulsion de l’Esprit pour ne pas être paralysés par la peur
et par le calcul, pour ne pas nous habituer à ne marcher que dans
des périmètres sûrs. Souvenons-nous que ce qui est renfermé
finit par sentir l’humidité et par nous rendre malades. Quand les
Apôtres ont senti la tentation de se laisser paralyser par les
craintes et les dangers, ils se sont mis à prier ensemble en
demandant la parresía : « À présent donc, Seigneur,
considère leurs menaces et [permets] à tes serviteurs d’annoncer
ta parole en toute assurance » (Ac 4, 29). Et la réponse a
été que « tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se
trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint
Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance »
(Ac 4, 31).
134. Comme le prophète Jonas,
nous avons en nous la tentation latente de fuir vers un endroit sûr
qui peut avoir beaucoup de noms : individualisme, spiritualisme,
repli dans de petits cercles, dépendance, routine, répétition de
schémas préfixés, dogmatisme, nostalgie, pessimisme, refuge dans
les normes. Peut-être refusons-nous de sortir d’un territoire qui
nous était connu et commode. Toutefois, les difficultés peuvent
être comme la tempête, la baleine, le ver qui a fait sécher le
ricin de Jonas, ou le vent et le soleil qui l’ont brûlé à la
tête ; et comme dans son cas, ils peuvent servir à nous faire
retourner à ce Dieu qui est tendresse et qui veut nous conduire
dans un cheminement continu et rénovateur.
135. Dieu est toujours une
nouveauté, qui nous pousse à partir sans relâche et à nous
déplacer pour aller au-delà de ce qui est connu, vers les
périphéries et les frontières. Il nous conduit là où l’humanité
est la plus blessée et là où les êtres humains, sous l’apparence
de la superficialité et du conformisme, continuent à chercher la
réponse à la question du sens de la vie. Dieu n’a pas peur ! Il
n’a pas peur ! Il va toujours au-delà de nos schémas et ne
craint pas les périphéries. Lui-même s’est fait périphérie
(cf. Ph 2, 6-8 ; Jn 1, 14). C’est pourquoi, si nous
osons aller aux périphéries, nous l’y trouverons, il y sera.
Jésus nous devance dans le cœur de ce frère, dans sa chair
blessée, dans sa vie opprimée, dans son âme obscurcie. Il y est
déjà.
136. Il faut, certes, ouvrir la
porte du cœur à Jésus-Christ, car il frappe et appelle (cf. Ap
3, 20). Mais parfois, je me demande si, à cause de l’air
irrespirable de notre auto-référentialité, Jésus n’était pas
déjà en nous, frappant pour que nous le laissions sortir. Dans
l’Évangile, nous voyons comment Jésus « cheminait à travers
villes et villages, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle du
Royaume de Dieu » (Lc 8, 1). De même, après la
résurrection, quand les disciples sont allés partout, le Seigneur
œuvrait avec eux (cf. Mc 16, 20). Voilà la dynamique qui
jaillit de la vraie rencontre !
137. L’accoutumance nous
séduit et nous dit que chercher à changer quelque chose n’a pas
de sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation,
qu’il en a toujours été ainsi et que nous avons survécu malgré
cela. À cause de l’accoutumance, nous n’affrontons plus le mal
et nous permettons que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’,
ou ce que certains ont décidé qu’elles soient. Mais laissons le
Seigneur venir nous réveiller, nous secouer dans notre sommeil,
nous libérer de l’inertie. Affrontons l’accoutumance, ouvrons
bien les yeux et les oreilles, et surtout le cœur, pour nous
laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri
de la Parole vivante et efficace du Ressuscité.
138. L’exemple de nombreux
prêtres, religieuses, religieux et laïcs qui se consacrent à
évangéliser et à servir avec grande fidélité, bien des fois en
risquant leurs vies et sûrement au prix de leur confort, nous
galvanise. Leur témoignage nous rappelle que l’Église n’a pas
tant besoin de bureaucrates et de fonctionnaires, que de
missionnaires passionnés, dévorés par l’enthousiasme de
transmettre la vraie vie. Les saints surprennent, dérangent, parce
que leurs vies nous invitent à sortir de la médiocrité tranquille
et anesthésiante.
139. Demandons au Seigneur la
grâce de ne pas vaciller quand l’Esprit nous demande de faire un
pas en avant ; demandons le courage apostolique d’annoncer
l’Évangile aux autres et de renoncer à faire de notre vie
chrétienne un musée de souvenirs. De toute manière, laissons
l’Esprit Saint nous faire contempler l’histoire sous l’angle
de Jésus ressuscité. Ainsi, l’Église, au lieu de stagner,
pourra aller de l’avant en accueillant les surprises du Seigneur.
En communauté
140. Il est très difficile de
lutter contre notre propre concupiscence ainsi que contre les
embûches et les tentations du démon et du monde égoïste, si nous
sommes trop isolés. Le bombardement qui nous séduit est tel que,
si nous sommes trop seuls, nous perdons facilement le sens de la
réalité, la clairvoyance intérieure, et nous succombons.
141. La sanctification est un
cheminement communautaire, à faire deux à deux. C’est ainsi que
le reflètent certaines communautés saintes. En diverses occasions,
l’Église a canonisé des communautés entières qui ont vécu
héroïquement l’Évangile ou qui ont offert à Dieu la vie de
tous leurs membres. Pensons, à titre d’exemple, aux sept saints
fondateurs de l’Ordre des Servites de Marie, aux sept religieuses
bienheureuses du premier monastère de la Visitation de Madrid, à
saint Paul Miki et ses compagnons martyrs au Japon, à saint André
Kim Taegon et ses compagnons martyrs en Corée, à saint Roque
González, saint Alphonse Rodríguez et leurs compagnons martyrs en
Amérique du Sud. Souvenons-nous également du récent témoignage
des moines trappistes de Tibhirine (Algérie), qui se sont préparés
ensemble au martyre. Il y a, de même, beaucoup de couples saints au
sein desquels chacun a été un instrument du Christ pour la
sanctification de l’autre époux. Vivre ou travailler avec
d’autres, c’est sans aucun doute un chemin de développement
spirituel. Saint Jean de la Croix disait à un disciple : tu ne vis
avec d’autres « que pour être travaillé, exercé par tous […]
»[104].
142. La communauté est appelée
à créer ce « lieu théologal où l’on peut faire l’expérience
de la présence mystique du Seigneur ressuscité »[105].
Partager la Parole et célébrer ensemble l’Eucharistie fait
davantage de nous des frères et nous convertit progressivement en
communauté sainte et missionnaire. Cela donne lieu aussi à
d’authentiques expériences mystiques vécues en communauté,
comme ce fut le cas de saint Benoît et de sainte Scholastique, ou
lors de cette sublime rencontre spirituelle qu’ont vécue ensemble
saint Augustin et sa mère sainte Monique : « Or, le jour était
imminent où elle allait quitter cette vie, jour que tu connaissais,
toi, mais que nous, nous ignorions. Il se trouva, par tes soins j’en
suis sûr, par tes secrètes dispositions, que nous étions seuls,
elle et moi, debout, accoudés à une fenêtre ; de là le jardin
intérieur […]. Nous tenions grande ouverte la bouche de notre
cœur vers les eaux qui ruissellent d’en haut de ta source, de la
source de vie qui est près de toi […]. Et pendant que nous
parlons et aspirons à elle [la sagesse éternelle], voici que nous
la touchons, à peine, d’une poussée rapide et totale du cœur.
[…] [Comme si] la vie éternelle fût telle qu’a été cet
instant d’intelligence après lequel nous avions soupiré…
»[106].
143. Mais ces expériences ne
sont pas ce qu’il y a de plus fréquent, ni de plus important. La
vie communautaire, soit en famille, en paroisse, en communauté
religieuse ou en quelque autre communauté, est faite de beaucoup de
petits détails quotidiens. Il en était ainsi dans la sainte
communauté qu’ont formée Jésus, Marie et Joseph, où s’est
reflétée de manière exemplaire la beauté de la communion
trinitaire. C’est également ce qui se passait dans la vie
communautaire menée par Jésus avec ses disciples et avec les gens
simples.
Le petit détail du vin qui était en train de
manquer lors d’une fête.
Le petit détail d’une brebis qui manquait.
Le petit détail de la veuve qui offrait ses deux
piécettes.
Le petit détail d’avoir de l’huile en
réserve pour les lampes au cas où tarderait le fiancé.
Le petit détail de demander à ses disciples de
vérifier combien de pains ils avaient.
Le petit détail d’avoir allumé un feu de
braise avec du poisson posé dessus tandis qu’il attendait les
disciples à l’aube.
145. La communauté qui
préserve les petits détails de l’amour[107],
où les membres se protègent les uns les autres et créent un lieu
ouvert et d’évangélisation, est le lieu de la présence du
Ressuscité qui la sanctifie selon le projet du Père. Parfois, par
un don de l’amour du Seigneur, au milieu de ces petits détails,
s’offrent à nous des expériences consolantes de Dieu : « Un
soir d’hiver j’accomplissais comme d’habitude mon petit
office… tout à coup j’entendis dans le lointain le son
harmonique d’un instrument de musique, alors je me représentai un
salon bien éclairé, tout brillant de dorures, des jeunes filles
élégamment vêtues se faisant mutuellement des compliments et des
politesses mondaines ; puis mon regard se porta sur la pauvre malade
que je soutenais ; au lieu d’une mélodie j’entendais de temps
en temps ses gémissements plaintifs […]. Je ne puis exprimer ce
qui se passa dans mon âme, ce que je sais c’est que le Seigneur
l’illumina des rayons de la vérité qui surpassèrent tellement
l’éclat ténébreux des fêtes de la terre, que je ne pouvais
croire à mon bonheur »[108].
146. À l’opposé de la
tendance à l’individualisme consumériste qui finit par nous
isoler dans la quête du bien-être en marge des autres, notre
chemin de sanctification ne peut se lasser de nous identifier à ce
désir de Jésus : « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en
moi et moi en toi » (Jn 17, 21).
En prière constante
147. Finalement, même si cela
semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une
ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la
prière et dans l’adoration. Le saint est une personne dotée d’un
esprit de prière, qui a besoin de communiquer avec Dieu. C’est
quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence
close de ce monde, et au milieu de ses efforts et de ses
engagements, il soupire vers Dieu, il sort de lui-même dans la
louange et élargit ses limites dans la contemplation du Seigneur.
Je ne crois pas dans la sainteté sans prière, bien qu’il ne
s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments
intenses.
148. Saint Jean de la Croix
recommandait de « s’efforcer de vivre toujours en la présence de
Dieu, soit réelle, soit imaginaire, soit unitive, selon que les
actions commandées le permettent »[109].
Au fond, c’est le désir de Dieu qui ne peut se lasser de se
manifester de quelque manière dans notre vie quotidienne : «
Efforcez-vous de vivre dans une oraison continuelle, sans
l’abandonner au milieu des exercices corporels. Que vous mangiez,
que vous buviez [...], que vous parliez, que vous traitiez avec les
séculiers, ou que vous fassiez toute autre chose, entretenez
constamment en vous le désir de Dieu, élevez vers lui vos
affections »[110].
149. Cependant, pour que cela
soit possible, il faut aussi quelques moments uniquement pour Dieu,
dans la solitude avec lui. Pour sainte Thérèse d’Avila, la
prière, c’est « un commerce intime d’amitié où l’on
s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait
aimé »[111].
Je voudrais insister sur le fait que ce n’est pas seulement pour
quelques privilégiés, mais pour tous, car « nous avons tous
besoin de ce silence chargé de présence adorée »[112].
La prière confiante est une réaction du cœur qui s’ouvre à
Dieu face à face, où on fait taire tous les bruits pour écouter
la voix suave du Seigneur qui résonne dans le silence.
150. Dans le silence, il est
possible de discerner, à la lumière de l’Esprit, les chemins de
sainteté que le Seigneur nous propose. Autrement, toutes nos
décisions ne pourront être que des ‘‘décorations’’ qui,
au lieu d’exalter l’Évangile dans nos vies, le recouvriront ou
l’étoufferont. Pour tout disciple, il est indispensable d’être
avec le Maître, de l’écouter, d’apprendre de lui, d’apprendre
toujours. Si nous n’écoutons pas, toutes nos paroles ne seront
que du bruit qui ne sert à rien.
151. Souvenons-nous que «
c’est la contemplation du visage de Jésus mort et ressuscité qui
recompose notre humanité, même celle qui est fragmentée par les
vicissitudes de la vie, ou celle qui est marquée par le péché.
Nous ne devons pas apprivoiser la puissance du visage du Christ
»[113].
J’ose donc te demander : Y a-t-il des moments où tu te mets en sa
présence en silence, où tu restes avec lui sans hâte, et tu te
laisses regarder par lui ? Est-ce que tu laisses son feu embraser
ton cœur ? Si tu ne lui permets pas d’alimenter la chaleur de son
amour et de sa tendresse, tu n’auras pas de feu, et ainsi comment
pourras-tu enflammer le cœur des autres par ton témoignage et par
tes paroles ? Et si devant le visage du Christ tu ne parviens pas à
te laisser guérir et transformer, pénètre donc les entrailles du
Seigneur, entre dans ses plaies, car c’est là que la miséricorde
divine a son siège[114].
152. Mais je prie pour que nous
ne considérions pas le silence priant comme une évasion niant le
monde qui nous entoure. Le ‘‘pèlerin russe’’, qui marchait
dans une prière continue, raconte que cette prière ne le séparait
pas de la réalité extérieure : « Lorsqu’il m’arrivait de
rencontrer des gens, ils me semblaient aussi aimables que s’ils
avaient été de ma famille [...] Ce bonheur n’illuminait pas
seulement l’intérieur de mon âme ; le monde extérieur aussi
m’apparaissait sous un aspect ravissant »[115].
153. L’histoire ne disparaît
pas non plus. La prière, précisément parce qu’elle s’alimente
du don de Dieu qui se répand dans notre vie, devrait toujours faire
mémoire. La mémoire des actions de Dieu se trouve à la base de
l’expérience de l’alliance entre Dieu et son peuple. Puisque
Dieu a voulu entrer dans l’histoire, la prière est tissée de
souvenirs. Non seulement du souvenir de la Parole révélée, mais
aussi de la vie personnelle, de la vie des autres, de ce que le
Seigneur a fait dans son Église. C’est la mémoire reconnaissante
dont parle également saint Ignace de Loyola dans sa ‘‘Contemplation
pour parvenir à l’amour’’[116],
quand il nous demande de ramener à la mémoire tous les bénéfices
que nous avons reçus du Seigneur. Regarde ton histoire quand tu
pries et tu y trouveras beaucoup de miséricorde. En même temps,
cela alimentera ta conscience du fait que le Seigneur te garde dans
sa mémoire et ne t’oublie jamais. Cela a donc un sens de lui
demander d’éclairer encore les petits détails de ton existence,
qui ne lui échappent pas.
154. La supplication est
l’expression d’un cœur confiant en Dieu, qui sait que seul il
est impuissant. Dans la vie du peuple fidèle de Dieu, nous trouvons
beaucoup de supplications débordantes d’une tendresse croyante et
d’une confiance profonde. N’ôtons pas de la valeur à la prière
de demande, qui bien des fois donne de la sérénité à notre cœur
et nous aide à continuer de lutter avec espérance. La supplication
d’intercession a une valeur particulière, car c’est un acte de
confiance en Dieu et en même temps une expression d’amour du
prochain. Certains, par préjugés spiritualistes, croient que la
prière devrait être une pure contemplation de Dieu, sans
distractions, comme si les noms et les visages des frères étaient
une perturbation à éviter. Au contraire, la réalité, c’est que
la prière sera plus agréable à Dieu et plus sanctifiante si, à
travers elle, par l’intercession, nous essayons de vivre le double
commandement que Jésus nous a donné. L’intercession exprime
l’engagement fraternel envers les autres quand grâce à elle nous
sommes capables d’intégrer la vie des autres, leurs plus
pressantes angoisses et leurs plus grands rêves. Recourant aux
paroles bibliques, on peut dire de celui qui se dévoue
généreusement à intercéder : « Celui-ci est l’ami de ses
frères, qui prie beaucoup pour le peuple » (2 M 15, 14).
155. Si nous reconnaissons
vraiment que Dieu existe, nous ne pouvons pas nous lasser de
l’adorer, parfois dans un silence débordant d’admiration, ou de
le chanter dans une louange festive. Nous exprimons ainsi ce que
vivait le bienheureux Charles de Foucauld quand il disait : «
Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne
pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui »[117].
Il y a aussi, dans la vie du peuple pèlerin, de nombreux gestes
simples de pure adoration, comme par exemple lorsque « le regard du
pèlerin se fixe sur une image qui symbolise la tendresse et la
proximité de Dieu. L’amour s’arrête, contemple le mystère, le
savoure dans le silence »[118].
156. La lecture priante de la
Parole de Dieu, « plus douce que le miel » (Ps 119, 103) et
« plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants » (He
4, 12) nous permet de nous arrêter pour écouter le Maître afin
qu’il soit lampe sur nos pas, lumière sur notre route (cf. Ps
119, 105). Comme les Évêques de l’Inde l’ont bien rappelé : «
La Parole de Dieu n’est pas seulement une dévotion parmi tant
d’autres, certes belle mais optionnelle ; elle appartient au cœur
et à l’identité même de la vie chrétienne. La Parole a en
elle-même le pouvoir de transformer les vies »[119].
157. La rencontre avec Jésus
dans les Écritures nous conduit à l’Eucharistie, où cette même
Parole atteint son efficacité maximale, car elle est présence
réelle de celui qui est la Parole vivante. Là, l’unique Absolu
reçoit la plus grande adoration que puisse lui rendre cette terre,
car c’est le Christ qui s’offre. Et quand nous le recevons dans
la communion, nous renouvelons notre alliance avec lui et nous lui
permettons de réaliser toujours davantage son œuvre de
transformation.
Cinquième chapitre
COMBAT, VIGILANCE ET
DISCERNEMENT
158. La vie chrétienne est un
combat permanent. Il faut de la force et du courage pour résister
aux tentations du diable et annoncer l’Evangile. Cette lutte est
très belle, car elle nous permet de célébrer chaque fois le
Seigneur vainqueur dans notre vie.
Le combat et la vigilance
159. Il ne s’agit pas
seulement d’un combat contre le monde et la mentalité mondaine
qui nous trompe, nous abrutit et fait de nous des médiocres
dépourvus d’engagement et sans joie. Il ne se réduit pas non
plus à une lutte contre sa propre fragilité et contre ses propres
inclinations (chacun a la sienne : la paresse, la luxure, l’envie,
la jalousie, entre autres). C’est aussi une lutte permanente
contre le diable qui est le prince du mal. Jésus lui-même fête
nos victoires. Il se réjouissait quand ses disciples arrivaient à
progresser dans l’annonce de l’Evangile, en surmontant les
obstacles du Malin, et il s’exclamait : « Je voyais Satan tomber
du ciel comme l’éclair » (Lc 10, 18).
Plus qu’un mythe
160. Nous n’admettrons pas
l’existence du diable si nous nous évertuons à regarder la vie
seulement avec des critères empiriques et sans le sens du
surnaturel. Précisément, la conviction que ce pouvoir malin est
parmi nous est ce qui nous permet de comprendre pourquoi le mal a
parfois tant de force destructrice. Les auteurs bibliques avaient
certes un bagage conceptuel limité pour exprimer certaines réalités
et au temps de Jésus, on pouvait confondre, par exemple, une
épilepsie avec la possession du démon. Cependant cela ne doit pas
nous porter à trop simplifier la réalité en disant que tous les
cas rapportés dans les Evangiles étaient des maladies psychiques
et qu’en définitive le démon n’existe pas ou n’agit pas. Sa
présence se trouve à la première page des Ecritures, qui se
concluent avec la victoire de Dieu sur le démon[120].
De fait, quand Jésus nous a enseigné le Notre Père, il a demandé
que nous terminions en demandant au Père de nous délivrer du Mal.
Le terme utilisé ici ne se réfère pas au mal abstrait et sa
traduction plus précise est “le Malin”. Il désigne un être
personnel qui nous harcèle. Jésus nous a enseigné à demander
tous les jours cette délivrance pour que son pouvoir ne nous domine
pas.
161. Ne pensons donc pas que
c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une
idée[121].
Cette erreur nous conduit à baisser les bras, à relâcher
l’attention et à être plus exposés. Il n’a pas besoin de nous
posséder. Il nous empoisonne par la haine, par la tristesse, par
l’envie, par les vices. Et ainsi, alors que nous baissons la
garde, il en profite pour détruire notre vie, nos familles et nos
communautés, car il rôde « comme un lion rugissant cherchant qui
dévorer » (1P 5, 8).
Eveillés et confiants
162. La Parole de Dieu nous
invite clairement à « résister aux manœuvres du diable » (Ep
6, 11) et à éteindre « tous les traits enflammés du Mauvais »
(Ep 6, 16). Ce ne sont pas des paroles romantiques, car notre
chemin vers la sainteté est aussi une lutte constante. Celui qui ne
veut pas le reconnaître se trouvera exposé à l’échec ou à la
médiocrité. Nous avons pour le combat les armes puissantes que le
Seigneur nous donne : la foi qui s’exprime dans la prière, la
méditation de la parole de Dieu, la célébration de la Messe,
l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les
œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement
missionnaire. Si nous nous négligeons, les fausses promesses du mal
nous séduiront facilement, car comme le disait le saint prêtre
Brochero : « Qu’importe que Lucifer nous promette de nous libérer
et même nous comble de tous ses biens, si ce sont des biens
trompeurs, si ce sont des biens envenimés ? »[122].
163. Sur ce chemin, le progrès
du bien, la maturation spirituelle et la croissance de l’amour
sont les meilleurs contrepoids au mal. Personne ne résiste s’il
reste au point mort, s’il se contente de peu, s’il cesse de
rêver de faire au Seigneur un don de soi plus généreux. Encore
moins, s’il tombe dans un esprit de défaite, car « celui qui
commence sans confiance a perdu d’avance la moitié de la bataille
et enfouit ses talents […] le triomphe chrétien est toujours une
croix, mais une croix qui en même temps est un étendard de
victoire, qu’on porte avec une tendresse combative contre les
assauts du mal »[123].
La corruption spirituelle
164. Le chemin de la sainteté
est une source de paix et de joie que nous offre l’Esprit, mais en
même temps il demande que nous soyons avec « les lampes allumées
» (Lc 12, 35) et que nous restions attentifs : «
Gardez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5, 22). «
Veillez donc » (Mt 24, 42 ; Mc 13, 35). « Ne nous
endormons pas » (1Th 5, 6). Car ceux qui ont le sentiment
qu’ils ne commettent pas de fautes graves contre la Loi de Dieu
peuvent tomber dans une sorte d’étourdissement ou de torpeur.
Comme ils ne trouvent rien de grave à se reprocher, ils ne
perçoivent pas cette tiédeur qui peu à peu s’empare de leur vie
spirituelle et ils finissent par se débiliter et se corrompre.
165. La corruption spirituelle
est pire que la chute d’un pécheur, car il s’agit d’un
aveuglement confortable et autosuffisant où tout finit par sembler
licite : la tromperie, la calomnie, l’égoïsme et d’autres
formes subtiles d’autoréférentialité, puisque « Satan lui-même
se déguise en ange de lumière » (2Co 11, 14). C’est
ainsi que Salomon a fini ses jours, alors que le grand pécheur
David sut se relever de sa misère. Dans un épisode, Jésus nous
met en garde contre cette tentation trompeuse qui nous fait glisser
vers la corruption : il parle d’une personne libérée du démon
qui, pensant que sa vie est pure, finit par être possédée par
sept autres esprits malins (cf. Lc 11, 24-26). Un autre texte
biblique utilise une image forte : « Le chien est retourné à son
propre vomissement » (2P 2, 22 ; cf. Pr 26, 11).
Le discernement
166. Comment savoir si une
chose vient de l’Esprit Saint ou si elle a son origine dans
l’esprit du monde ou dans l’esprit du diable ? Le seul moyen,
c’est le discernement qui ne requiert pas seulement une bonne
capacité à raisonner ou le sens commun. C’est aussi un don qu’il
faut demander. Si nous le demandons avec confiance au Saint Esprit,
et que nous nous efforçons en même temps de le développer par la
prière, la réflexion, la lecture et le bon conseil, nous pourrons
sûrement grandir dans cette capacité spirituelle.
Une nécessité impérieuse
167. Aujourd’hui, l’aptitude
au discernement est redevenue particulièrement nécessaire. En
effet, la vie actuelle offre d’énormes possibilités d’actions
et de distractions et le monde les présente comme si elles étaient
toutes valables et bonnes. Tout le monde, mais spécialement les
jeunes, est exposé à un zapping constant. Il est possible
de naviguer sur deux ou trois écrans simultanément et d’interagir
en même temps sur différents lieux virtuels. Sans la sagesse du
discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la
merci des tendances du moment.
168. Cela devient
particulièrement important quand apparaît une nouveauté dans
notre vie et qu’il faudrait alors discerner pour savoir s’il
s’agit du vin nouveau de Dieu ou bien d’une nouveauté trompeuse
de l’esprit du monde ou de l’esprit du diable. En d’autres
occasions, il arrive le contraire, parce que les forces du mal nous
induisent à ne pas changer, à laisser les choses comme elles sont,
à choisir l’immobilisme et la rigidité. Nous empêchons donc le
souffle de l’Esprit d’agir. Nous sommes libres, de la liberté
de Jésus-Christ, mais il nous appelle à examiner ce qu’il y a en
nous – désirs, angoisses, craintes, aspirations – et ce qui se
passe en dehors de nous – “les signes des temps” – pour
reconnaître les chemins de la pleine liberté : « Vérifiez tout.
Ce qui est bon retenez-le » (1Th 5, 21).
Toujours à la lumière du Seigneur
169. Le discernement n’est
pas seulement nécessaire pour les moments extraordinaires, ou quand
il faut résoudre de graves problèmes, ou quand il faut prendre une
décision cruciale. C’est un instrument de lutte pour mieux suivre
le Seigneur. Nous en avons toujours besoin pour être disposés à
reconnaître les temps de Dieu et de sa grâce, pour ne pas
gaspiller les inspirations du Seigneur, pour ne pas laisser passer
son invitation à grandir. Souvent cela se joue dans les petites
choses, dans ce qui paraît négligeable, parce que la grandeur se
montre dans ce qui est simple et quotidien[124].
Il s’agit de ne pas avoir de limites pour ce qui est grand, pour
ce qu’il y a de mieux et de plus beau, mais en même temps d’être
attentif à ce qui est petit, au don de soi d’aujourd’hui. Je
demande donc à tous les chrétiens de faire chaque jour, en
dialogue avec le Seigneur qui nous aime, un sincère “examen de
conscience”. En même temps, le discernement nous conduit à
reconnaître les moyens concrets que le Seigneur prédispose dans
son mystérieux plan d’amour, pour que nous n’en restions pas
seulement à de bonnes intentions.
Un don surnaturel
170. Il est vrai que le
discernement spirituel n’exclut pas les apports des connaissances
humaines, existentielles, psychologiques, sociologiques ou morales.
Mais il les transcende. Même les sages normes de l’Église n’y
suffisent pas. Rappelons-nous toujours que le discernement est une
grâce. Bien qu’il inclue la raison et la prudence, il les dépasse
parce qu’il s’agit d’entrevoir le mystère du projet unique et
inimitable que Dieu a pour chacun, et qui se réalise dans des
contextes et des limites les plus variés. Ne sont pas seulement en
jeu un bien-être temporel ni la satisfaction de faire quelque chose
d’utile, ni le désir d’avoir la conscience tranquille non plus.
Ce qui est en jeu, c’est le sens de ma vie devant le Père qui me
connaît et qui m’aime, le vrai sens de mon existence que personne
ne connaît mieux que lui. Le discernement, en définitive, conduit
à la source même de la vie qui ne meurt pas, c’est-à-dire
connaître le Père, le seul vrai Dieu, et celui qu’il a envoyé,
Jésus-Christ (cf. Jn 17, 3). Il ne requiert pas de capacités
spéciales ni n’est réservé aux plus intelligents ou aux plus
instruits, et le Père se révèle volontiers aux humbles (cf. Mt
11, 25).
171. Même si le Seigneur nous
parle de manières variées, dans notre travail, à travers les
autres et à tout moment, il n’est pas possible de se passer du
silence de la prière attentive pour mieux percevoir ce langage,
pour interpréter la signification réelle des inspirations que nous
croyons recevoir, pour apaiser les angoisses et recomposer
l’ensemble de l’existence personnelle à la lumière de Dieu.
Nous pouvons ainsi laisser naître cette nouvelle synthèse qui
jaillit de la vie illuminée par l’Esprit.
Parle, Seigneur
172. Cependant, il pourrait
arriver que dans la prière même nous évitions de nous laisser
interpeller par la liberté de l’Esprit qui agit comme il veut. Il
faut rappeler que le discernement priant doit trouver son origine
dans la disponibilité à écouter le Seigneur, les autres, la
réalité même qui nous interpelle toujours de manière nouvelle.
Seul celui qui est disposé à écouter possède la liberté pour
renoncer à son propre point de vue partiel ou insuffisant, à ses
habitudes, à ses schémas. De la sorte, il est vraiment disponible
pour accueillir un appel qui brise ses sécurités mais qui le
conduit à une vie meilleure, car il ne suffit pas que tout aille
bien, que tout soit tranquille. Dieu pourrait être en train de nous
offrir quelque chose de plus, et à cause de notre distraction dans
la commodité, nous ne nous en rendons pas compte.
173. Une telle attitude
d’écoute implique, c’est certain, l’obéissance à l’Evangile
comme ultime critère, mais aussi au Magistère qui le garde, en
cherchant à trouver dans le trésor de l’Église ce qui est le
plus fécond pour l’aujourd’hui du salut. Il ne s’agit pas
d’appliquer des recettes ni de répéter le passé, puisque les
mêmes solutions ne sont pas valables en toutes circonstances, et ce
qui sera utile dans un certain contexte peut ne pas l’être dans
un autre. Le discernement des esprits nous libère de la rigidité
qui n’est pas de mise devant l’éternel aujourd’hui du
Ressuscité. Seul l’Esprit sait pénétrer dans les replis les
plus sombres de la réalité et prendre en compte toutes ses
nuances, pour que, sous un nouveau jour, émerge la nouveauté de
l’Evangile.
La logique du don et de la croix
174. Une condition essentielle
au progrès dans le discernement, c’est de s’éduquer à la
patience de Dieu et à ses temps qui ne sont jamais les nôtres. Il
ne fait pas tomber le feu sur les infidèles (cf. Lc 9, 54)
ni ne permet d’‘‘arracher l’ivraie” qui grandit avec le
blé (cf. Mt 13, 29). Il faut aussi de la générosité parce
qu’« il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac
20, 35). Nous ne discernons pas pour découvrir ce que nous pouvons
tirer davantage de cette vie, mais pour reconnaître comment nous
pouvons mieux accomplir cette mission qui nous a été confiée dans
le Baptême, et cela implique que nous soyons disposés à des
renoncements jusqu’à tout donner. En effet, le bonheur est
paradoxal et nous offre les meilleures expériences quand nous
acceptons cette logique mystérieuse qui n’est pas de ce monde.
Comme l’affirmait saint Bonaventure en parlant de la croix : «
Telle est notre logique »[125].
Si quelqu’un entre dans cette dynamique, alors il ne laisse pas sa
conscience s’anesthésier et il s’ouvre généreusement au
discernement.
175. Quand nous scrutons devant
Dieu les chemins de la vie, il n’y a pas de domaines qui soient
exclus. Sur tous les plans de notre vie, nous pouvons continuer à
grandir et offrir quelque chose de plus à Dieu, y compris sur les
plans où nous faisons l’expérience des difficultés les plus
fortes. Mais il faut demander à l’Esprit Saint de nous délivrer
et d’expulser cette peur qui nous porte à lui interdire d’entrer
dans certains domaines de notre vie. Lui qui demande tout donne
également tout, et il ne veut pas entrer en nous pour mutiler ou
affaiblir mais pour porter à la plénitude. Cela nous fait voir que
le discernement n’est pas une autoanalyse intimiste, une
introspection égoïste, mais une véritable sortie de nous-mêmes
vers le mystère de Dieu qui nous aide à vivre la mission à
laquelle il nous a appelés pour le bien de nos frères.
***
176. Je voudrais que la Vierge
Marie couronne ces réflexions, car elle a vécu comme personne les
béatitudes de Jésus. Elle est celle qui tressaillait de joie en la
présence de Dieu, celle qui gardait tout dans son cœur et qui
s’est laissée traverser par le glaive. Elle est la sainte parmi
les saints, la plus bénie, celle qui nous montre le chemin de la
sainteté et qui nous accompagne. Elle n’accepte pas que nous
restions à terre et parfois elle nous porte dans ses bras sans nous
juger. Parler avec elle nous console, nous libère et nous
sanctifie. La Mère n’a pas besoin de beaucoup de paroles, elle
n’a pas besoin que nous fassions trop d’efforts pour lui
expliquer ce qui nous arrive. Il suffit de chuchoter encore et
encore : “Je vous salue Marie…’’.
177. J’espère que ces pages
seront utiles pour que toute l’Église se consacre à promouvoir
le désir de la sainteté. Demandons à l’Esprit Saint d’infuser
en nous un intense désir d’être saint pour la plus grande gloire
de Dieu et aidons-nous les uns les autres dans cet effort. Ainsi,
nous partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 19
mars, Solennité de Saint Joseph, de l’an 2018, sixième année de
mon Pontificat.
François
[1]
Benoît XVI, Homélie
lors de l’inauguration solennelle du ministère pétrinien (24
avril 2005) : AAS 97 (2005), p. 708.
[2]
Cela suppose qu’il y ait, de toute façon, la réputation de
sainteté et l’exercice, au moins à un niveau ordinaire, des
vertus chrétiennes : Cf. Lettre Apostolique sous forme de Motu
proprio Maiorem
hac dilectionem
(11 juillet 2017), art. 2c : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (13 juillet 2017), p. 12.
[3]
Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen
gentium, sur l’Église, n. 9.
[4]
Cf. Joseph Malègue, Pierres noires. Les classes moyennes du
Salut, Paris 1958.
[5]
Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen
gentium, sur l’Église, n. 12.
[6]
Vie cachée et épiphanie, Source cachée (Œuvres
spirituelles, Paris 1998, pp. 241-247).
[7]
Jean-Paul II, Lett. ap. Novo
millennio ineunte
(6 janvier 2001), n. 56 : AAS 93
(2001), p. 307.
[8]
Lett. ap. Tertio
millennio adveniente
(10 novembre 1994), n. 37 : AAS 87
(1995), p. 29.
[9]
Homélie
lors de la Commémoration œcuménique des témoins de la foi du
20ème siècle (7
mai 2000) : AAS 92 (2000), n. 5 :
pp.680-681.
[10]
Const. dogm. Lumen
gentium, sur l’Église, n. 11.
[11]
Cf. Hans U. Von Balthasar, Teología y santidad, in Communio
6 (1987), p. 489.
[12]
Cantique Spirituel B, Prologue 2, (Œuvres complètes,
Paris 1990, p. 1196).
[13]
Ibid., 14, 2, (Op. cit. p. 1285).
[14]
Cf. Catéchèse
de l’Audience générale (19 novembre 2014)
: L’Osservatore Romano, éd. en langue française (20
novembre 2014), p. 2.
[15]
François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, VIII, 11,
(Œuvres complètes, Paris 1969, p. 743).
[16]
J’ai suivi Jésus : Un évêque témoigne, Paris 1997, p.
17.
[17]
Conférence des Évêques catholiques de Nouvelle Zélande, Healing
love (1er
janvier 1988).
[18]
Cf. Exercices spirituels, Paris 1986/2008, nn. 102-312.
[19]
Catéchisme de l’Église catholique, n. 515.
[20]
Ibid., n. 516.
[21]
Ibid., n. 517.
[22]
Ibid., n. 518.
[23]
Ibid., n. 521.
[24]
Benoît XVI, Audience
générale
(13 avril 2011), in : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (14 avril 2011), n. 15, p 2.
[25]
Ibid.
[26]
Cf. Hans U. Von Balthasar, Teología y santidad, in Communio
6 (1987), pp. 486-493.
[27]
Xavier Zubiri, Naturaleza, historia, Dios, Madrid 19993,
p. 427.
[28]
Carlo M. Martini, Le confesioni di Pietro, Cinisello Balsamo
2017, p. 69.
[29]
Il faut distinguer ce divertissement superficiel d’une saine
culture du loisir, qui nous ouvre à l’autre et à la réalité
avec un esprit détendu et contemplatif.
[30]
Jean-Paul II, Homélie
lors de la Messe de canonisation
(1er
octobre 2000), n. 5 : AAS 92 (2000), p.
852.
[31]
Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique Occidentale,
Message pastoral à la fin de la 2ème
Assemblée plénière (29 février 2016), n. 2.
[32]
León Bloy, La femme pauvre, II, 27, Paris 1897, p. 388.
[33]
Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lett. Placuit
Deo
sur certains aspects du salut chrétien (22 février 2018),
n. 4 : L’Osservatore Romano (2 mars 2018), pp.4-5 : «
L’individualisme néo-pélagien et le mépris néo-gnostique du
corps défigurent la confession de foi au Christ, Sauveur unique et
universel ». Dans ce document, se trouvent les bases doctrinales
pour la compréhension du salut chrétien en référence aux dérives
néo-gnostiques et néo-pélagiennes actuelles.
[34]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 94 : AAS 105
(2013), p. 1060.
[35]
Ibid : AAS 105 (2013), p. 1059.
[36]
Homélie
lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe
(11 novembre 2016) : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (1er
décembre 2016), p. 8.
[37]
Comme l’enseigne saint Bonaventure, on doit « laisser en arrière
toutes les opérations de l’intelligence, puis transporter et
transformer en Dieu le foyer de toutes nos affections […] Il faut
accorder peu à la recherche et beaucoup à l’onction ; peu à la
langue et le plus possible à la joie intérieure ; peu aux discours
et aux livres, et tout au don de Dieu, c’est-à-dire au saint
Esprit ; peu ou rien à la créature et tout à l’Être créateur
: Père, Fils et saint Esprit » (Itinerarium mentis in Deum,
VII, 4-5 [Texte latin de Quaracchi traduit par H. Dumery], Paris
2001, pp. 103.105).
[38]
Lettre au Grand Chancelier de l’Université Pontificale
Catholique d’Argentine pour le centenaire de la Faculté de
théologie (3 mars 2015) : L’Osservatore Romano (9-10
mars 2015), p. 6.
[39]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 40 : AAS 105
(2013), p. 1037.
[40]
Vidéo-message
au congrès international de théologie de l’Université
Pontificale Catholique d’Argentine
(1-3 septembre 2015) : AAS 107 (2015),
p. 980.
[41]
Exhort. ap. post-synodale Vita
consecrata
(25 mars 1996), n. 38 : AAS 88 (1996),
p. 412.
[42]
Lettre au Grand Chancelier de l’Université Pontificale
Catholique d’Argentine pour le centenaire de la Faculté de
théologie (3 mars 2015) : L’Osservatore Romano (9-10
mars 2015), p. 6.
[43]
Lettre à Frère Antoine, 2 (Ecrits, vies, témoignages,
Ed. du 8ème
centenaire vol. 1, Paris 2010, p. 383).
[44]
Les sept dons de l’Esprit Saint, 9, 15.
[45]
Id, Commentaire sur le Livre IV des Sentences 37, 1, 3, ad 6.
[46]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 94 : AAS 105
(2013), p. 1059.
[47]
Cf. Bonaventure de Bagnoregio, De sex alis Seraphim 3, 8 : «
Non omnes omnia possunt ». Il faut le comprendre dans la
ligne du Catéchisme de l’Église catholique, n. 1735.
[48]
Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 109, a. 9,
ad 1. « La grâce est de quelque manière imparfaite en ce qu’elle
ne guérit pas totalement l’homme ».
[49]
Cf. La nature et la grâce XLIII, 50 : PL 44, p. 271.
[50]
Confessions X, XXIX, 40 (Paris 1962, Livres VIII-XIII, p.
213).
[51]
Cf. Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105
(2013), p. 1038.
[52]
Dans la compréhension de la foi chrétienne, la grâce est
prévenante, concomitante et subséquente à tout notre agir. (Cf.
Conc. œcum. de Trente, Sess. VI, Decr. de iustificatione,
ch. 5, in DH, n. 1525).
[53]
Cf. Homélie sur la Lettre aux Romains IX, 11 : PG 60,
p. 470.
[54]
Homélie sur l’humilité : PG 31, p. 530.
[55]
Canon 4, DH 374 (H. Denziger, Symboles et définitions de
la foi catholique, Paris 2010, p. 137).
[56]
Ses. 6ème,
Decretum de iustificatione, chap. 8, DH 1532 (H.
Denziger, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris
2010, p. 422).
[57]
N. 1998.
[58]
Ibid., n. 2007.
[59]
Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 114, art. 5.
[60]
Thérèse de Lisieux, ‘‘Acte d’offrande à l’Amour
miséricordieux’’ (Prières, 6), (Œuvres complètes,
Paris 1996, p. 963).
[61]
Liucio Gera, Sobre el misterio del pobre, dans P. Grelot- L.
Gera-A. Dumas, El Pobre, Buenos Aires 1962, p. 103.
[62]
C’est, en définitive, la doctrine catholique du “mérite”
postérieur à la justification. Il s’agit de la coopération du
justifié à l’accroissement de la vie de la grâce (cf.
Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2010). Mais cette
coopération ne fait en aucune manière que la justification
elle-même et l’amitié de Dieu deviennent l’objet d’un mérite
humain.
[63]
Cf. Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 95 : AAS 105
(2013), p. 1060.
[64]
Somme Théologique I-II, q. 107, art. 4.
[65]
Homélie
de la Sainte Messe à l’occasion du Jubilé des personnes
socialement exclues
(13 novembre 2016) : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française (17 novembre 2016), p. 7.
[66]
Cf. Homélie
lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe
(9 juin 2014) : L’Osservatore Romano,
éd. en langue française (26 juin 2014), p. 6.
[67]
L’ordre entre la deuxième et la troisième béatitude varie selon
les diverses traditions textuelles.
[68]
Exercices spirituels, n. 23 (Paris 1986/2008, p. 44).
[69]
Manuscrit C, 12r. (Œuvres complètes, Paris 1996, p.
250).
[70]
Depuis les temps patristiques, l’Église apprécie le don des
larmes, comme en témoigne aussi la belle prière Ad petendam
compunctionem cordis : « O Dieu tout puissant et très
compatissant, qui pour le peuple assoiffé a fait surgir du rocher
une source d’eau vive, fais jaillir de nos cœurs endurcis des
larmes de contrition, pour que, pleurant nos péchés, nous
obtenions par ta miséricorde le pardon » (Missale Romanum,
ed. typ. 1962, p. [110]).
[71]
Catéchisme de l’Église catholique, n. 1789, cf. n. 1970.
[72]
Ibid., n. 1787.
[73]
La diffamation et la calomnie sont comme un acte terroriste : on
jette la bombe, on détruit, et l’agresseur reste heureux et
tranquille. C’est très différent de la grandeur d’âme de
celui qui s’approche pour discuter face à face, avec une
sincérité sereine, en pensant au bien de l’autre.
[74]
À certaines occasions, il peut être nécessaire de discuter à
propos des difficultés d’un frère. Dans ces cas, il peut arriver
que se transmette une reconstruction au lieu d’un fait objectif.
La passion déforme la réalité concrète du fait, le transforme en
une reconstruction et finit par transmettre cette reconstruction
chargée de subjectivité. On détruit ainsi la réalité et on ne
respecte pas la vérité de l’autre.
[75]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 218 : AAS 105
(2013), p. 1110.
[76]
Ibid., n. 239, p. 1116.
[77]
Ibid., n. 227, p. 1112.
[78]
Lett. enc. Centesimus
annus
(1er
mai 1991), n. 41c : AAS 83 (1991), pp.
844-845.
[79]
Lett. ap. Novo
millennio ineunte
(6 janvier 2001), n. 49 : AAS 93
(2001), p. 302.
[80]
Ibid. : AAS 93 (2001), p. 302.
[82]
Rappelons-nous la réaction du bon samaritain face à l’homme que
les brigands avaient laissé à demi-mort au bord du chemin (cf. Lc
10, 30-37).
[83]
Conférence Canadienne des Évêques catholiques : Commission des
Affaires Sociales, Lettre ouverte aux membres du Parlement, Le
bien commun ou l’exclusion, un choix pour les canadiens (1er
février 2001), n. 9.
[84]
Suivant le magistère constant de l’Église, la 5ème
Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des
Caraïbes a enseigné que l’être humain « est toujours sacré,
depuis sa conception, dans toutes les étapes de son existence,
jusqu’à sa mort naturelle et après la mort », et que sa vie
doit être protégée « depuis la conception, à toutes les étapes,
et jusqu’à la mort naturelle » (Document d’Aparecida (29
juin 2007), nn. 388.464).
[85]
Règle, 53, 1 : PL 66, p. 749.
[86]
Cf. Ibid., 53, 7 : PL 66, p. 750.
[87]
Ibid. 53, 15 : PL 66, p. 751.
[88]
Bulle Misericordiae
Vultus
(11 avril 2015), n. 9 : AAS 107 (2015),
p. 405.
[89]
Ibid., n. 10 : AAS 107 (2015), p. 406.
[90]
Exhort. ap. post-synodale Amoris
laetitia
(19 mars 2016), n. 311 : AAS 108
(2016), p. 439.
[91]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 197 : AAS 105
(2013), p. 1103.
[92]
Cf. Somme Théologique, II-II, 30, a. 4.
[93]
Ibid. ad. 1
[94]
Cristo en los pobres, Madrid, 1981, p. 37-38.
[95]
Il y a de nombreuses formes de harcèlement qui, bien qu’elles
semblent élégantes ou respectueuses, voire spirituelles,
provoquent beaucoup de souffrance dans l’estime de soi des autres.
[96]
Précautions, 13 b (Œuvres complètes, Paris 1990, p.
304).
[97]
Ibid, 13 a (Op. cit., p. 304).
[98]
Petit Journal : la miséricorde divine dans mon âme, n. 300
(Paris 20106,
p. 148).
[99]
Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I-II, 70, a. 3.
[100]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 6 : AAS 105
(2013), p. 1221.
[101]
Je recommande de dire la prière attribuée à saint Thomas More : «
Donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à
digérer. Donne-moi la santé du corps avec le sens de la garder au
mieux. Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la
beauté et la pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en
voyant le péché, mais sache redresser la situation. Donne-moi une
âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir. Ne permets
pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que
j’appelle ‘‘moi’’. Seigneur, donne-moi l’humour pour que
je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les
autres. Ainsi soit-il ».
[102]
Exhort. ap. post-synodale Amoris
laetitia
(19 mars 2016), n. 110 : AAS 108
(2016), p. 354.
[103]
Exhort. ap. Evangelii
nuntiandi
(8 décembre 1975), n. 80 : AAS 68
(1976), p. 73. Il est intéressant de noter que dans ce texte, le
bienheureux Paul VI lie intimement la joie à la parresía.
De même qu’il déplore “surtout le manque de joie et
d’espérance”, exalte la “douce et réconfortante joie
d’évangéliser” qui est unie à “un élan intérieur que
personne ni rien ne saurait éteindre”, pour que le monde ne
reçoive pas l’Évangile “d’évangélisateurs tristes et
découragés ”. À l’occasion de l’Année Sainte 1975, le même
Paul VI a consacré à la joie l’Exhortation apostolique Gaudete
in Domino
(9 mai 1975) : AAS 67 (1075), pp. 289-322.
[104]
Précautions, n. 15 (Œuvres complètes, Paris 1990,
p. 304).
[105]
Jean Paul-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Vita
consecrata
(25 mars 1996), n. 42 : AAS 88 (1996),
p. 416.
[106]
Confessions, IX, 10, 23-25 : PL 32, p. 773-775 (Paris
1962, Livres VIII-XIII, pp. 115-121).
[107]
Spécialement, je rappelle les trois mots-clefs ‘‘s’il te
plaît, merci, pardon’’, car « dits au bon moment, [ils]
protègent et alimentent l’amour, jour après jour » : Exhort.
ap. post-synodale Amoris
laetitia
(19 mars 2016), n. 133 : AAS 108
(2016), p. 363.
[109]
Degrés de perfection, 2 (Œuvres complètes, Paris
1990, p. 313).
[110]
Id., Avis à un religieux pour atteindre la perfection, 9b
(Op. cit., p. 311).
[111]
Livre de la Vie 8, 5 (Œuvres complètes, Paris 1949, p. 82).
[112]
Jean-Paul II, Lett. ap. Orientale
lumen
(2 mai 1995), n. 16 : AAS 87 (1995), p.
762.
[113]
Discours
lors de la rencontre avec les participants au Vème
Congrès de l’Église italienne,
Florence (10 novembre 2015) : AAS 107
(2015), p. 1284.
[114]
Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon sur le cantique des cantiques
61, 3-5 : PL 183, pp. 1071-1073.
[115]
Récits d’un pèlerin russe, (Traduits par Jean Laloy,
Baconnière/Paris 1966, pp-37-38.149).
[116]
Cf. Exercices spirituels, Paris 1986/2008, nn. 230-237.
[117]
Lettre à Henry de Castries, Notre-Dame des Neiges, 14 août
1901.
[118]
Vème
Conférence Générale de L’Episcopat Latino-américain et des
Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), n. 259.
[119]
Conférence des Évêques catholiques de l’inde, Déclaration
finale de la 21ème
Assemblée plénière (18 février 2009), n. 3.2.
[120]
Cf. Homélie
lors de la Messe à la Résidence Sainte-Marthe
(11 octobre 2013) : L’Osservatore Romano,
éd. en langue française (17 octobre 2013), p. 7.
[121]
Cf. Paul VI, Catéchèse (15 novembre 1972) : Insegnamenti
X [1972], pp. 1168-1170 : « Un des besoins principaux est la
défense contre ce mal que nous appelons Démon […] Le mal n’est
pas seulement une déficience mais une efficience, un être vivant,
spirituel, perverti et pervertisseur. Réalité terrible,
mystérieuse et effrayante. Celui qui se refuse à la reconnaître
comme existante sort du cadre de l’enseignement biblique et
ecclésiastique ; ou bien celui qui en fait un principe se tenant
par lui-même, n’ayant pas lui-même, comme toute créature, son
origine en Dieu ; ou qui l’explique comme pseudo-réalité, une
personnification conceptuelle et fantastique des causes ignorées de
nos infirmités ».
[122]
José Gabriel del Rosario Brochero, Plática de las banderas,
in : Conférence épiscopale d’Argentine, El Cura Brochero.
Cartas y sermones, Buenos Aires 1999, p. 71.
[123]
Exhort. ap. Evangelii
gaudium
(24 novembre 2013), n. 85 : AAS 105
(2013), p. 1056.
[124]
On trouve sur la tombe de saint Ignace de Loyola ce sage épitaphe :
“Non coerceri a maximo, contineri tamen a minimo divinum est”
(Il est divin de ne pas avoir peur des grandes choses et en même
temps d’être attentif aux plus petites).
[125]
Collationes in Hexaemeron, 1, 30.
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